Journal d’une femme à sa fenêtre
(suite 21)


Octobre 2013

Montluçon, le Salon du livre organisé par le libraire Benoît de Peufeilhou. Le chemin de halage le long du Cher. Noyant d’Allier, les réfugiés indochinois. Cholet, Clisson, Vallet. Le pays natal et Le pays de ma mère. Le 15 octobre 2013, trente ans après La Marche pour l’égalité contre le racisme.


6 octobre

À Montluçon pour le Salon du livre où je retrouve Benoît de Peufeilhou, libraire au Talon d’Achille où travaille une jolie jeune femme aux yeux verts avec laquelle je parle un moment.

Je marche le long du Cher sur un chemin de halage qui me rappelle celui de Saint-Florent-le-Vieil, où Timur Muhiddine avait organisé dans le village de Julien Gracq, une rencontre littéraire sur la « traduction de l’Orient ». Devant moi, un homme noir chante le blues, personne alentour. On entend les cloches de l’église. J’apprends, en lisant les panneaux posés au bord de la rivière, que, en 1885, des ouvriers de Désertine (le prénom d’un prochain personnage de nouvelle…) ont contribué à la construction de la passerelle métallique qui permettait de travailler sur l’autre rive, moyennant un sou prélevé sur la paie si insuffisante, que les enfants devaient eux aussi travailler.

La passerelle a été emportée par la crue du Cher en 1940. Saint-Gobain a construit une autre passerelle plus solide « La Glacerie ». Je l’ai traversée pour revenir sur la rive gauche. Dans la rivière les branches des saules pleureurs sont entrelacées de vigne vierge rouge.

À la sortie de Montluçon vers Vierzon on peut lire « Rond-point des Anciens d’Indochine ». Noyant d’Allier est à une cinquantaine de kilomètres. En 1955 des réfugiés indochinois sont arrivés à Noyant où ils ont édifié une pagode dorée et fabriqué des statues dorées de Bouddha. J’en parle dans Voyage en Algéries autour de ma chambre (éd. Bleu autour, photos de Pierre Thomas) et dans une courte nouvelle : Noyant d’Allier, publiée chez le même éditeur, Patrice Rötig, qui m’a fait découvrir ce village à 25 kilomètres de Saint-Pourçain-sur-Sioule.

Sur les murs d’une usine en ruines en sortant de Montluçon les lettres encore lisibles : "dunlop la passion du futur".



Prospectus Noyant d’Allier

 

15 octobre

La France a une très longue histoire. Elle a eu un empire colonial et ses descendants, pour beaucoup, habitent l’ancienne métropole. D’où l’abondance des commémorateurs.

Est-ce que commémorer, c’est rappeler que l’histoire de l’empire et de la métropole est une histoire commune ? Il semble que oui à entendre les réclamations des commémorations.

Donc, trente ans plus tard, après le 15 octobre 1983, jour où la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » quitte Marseille pour un tour de France, on commémore. Films, documentaires, prises de parole, on entend Toumi, Christian Delorme l’ami prêtre et d’autres, garçons et filles, livres, Nouveau tour de France en minibus organisé par ACLEFEU que préside Mohamed Mechmache pour rappeler la Marche des aînés. Ils ont marché, garçons et filles, les enfants des pères et mères exilés en France dans les cités après les bidonvilles, HLM après les cités de transit, le béton après la montagne, les plaines et les Hauts Plateaux. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ne sont pas invisibles comme les Anciens. Ils sont indignés par les crimes racistes qui frappent leurs frères, par les discriminations. Ils sont citoyens français, ils réclament leurs droits. Ils marchent dans la France inconnue, ils rencontrent des Français qu’ils découvrent, solidaires. Il fait froid, un large keffieh les réchauffe, garçons et filles. Ils mènent la même lutte, les frères ne sont pas les grands frères tyranniques. Complices des sœurs, voisines et amies, ils crient les mêmes slogans jusqu’à Paris sur les Champs Élysées que beaucoup n’ont jamais vus.

Ils marchent, le corps fait corps avec la terre de France, les routes, les chemins de traverse, les pavés. Ils s’approprient le pays natal qui devient le pays natal parce que chaque pas le découvre et le possède. Ils marchent là où les pères et mères n’ont jamais marché, l’exil était pour eux un espace hostile, hors-sol. Les enfants marchent aussi pour les pères et mères, ils leur offrent la dignité. Ils marchent pour être des citoyens comme les autres. Trente ans plus tard, on entend les leaders.

Ils se plaignent de récupération, d’instrumentalisation, ils dénoncent SOS Racisme. La Marche n’a pas eu les effets escomptés. Les Marcheurs ne se sont pas organisés pour faire valoir leurs revendications. Le mouvement collectif s’est dispersé. L’intégration a concerné des individus, hommes et femmes de la deuxième génération. Beaucoup se sont intégrés à la société française, les filles en particulier. Avec l’école, elles avaient tout à gagner, les garçons ne pouvaient plus assurer leur suprématie traditionnelle, sinon par la force, d’où la naissance de « Ni putes ni soumises ».

Aujourd’hui la « troisième génération », Français de parents français vivant en France a dû composer avec une nouvelle donne qui ne concernait pas les Marcheurs, l’Islam.

Peut-être des Marcheuses ont eu des filles qui portent le hijeb et qui cherchent à les endoctriner ?

Peut-être des Marcheuses ont eu des filles qui se battent pour la libération des femmes arabes de la rive méditerranéenne ?

Et les fils ? Ils ne sont pas tous englués dans la drogue, l’argent facile, ils ne sont pas tous des petits ou des grands caïds de quartiers, ils ne sont pas tous formés au Djihad pour se battre sur les fronts de guerre avec leurs « Frères musulmans ».

On parle de diversité. La diversité est là aussi, dans ces destins différents, ces histoires particulières qui font une société civile dans un état de droit.

Les Marcheurs et les Marcheuses de 1983 ont été les acteurs, les actrices de l’histoire de France, comme l’affichait la rencontre organisée par Fatiha Toumi dans une bibliothèque lyonnaise, des photos de Farid sauvées de l’oubli et de la destruction par les soins de la bibliothèque, ont été affichées.

17 octobre

Je vais à Cholet où je rencontrerai à  nouveau Laurent Hauchecorne après une journée de janvier 2014 dans son lycée. Il a contribué par des entretiens avec Michel Humbert à un livre bande dessinée de Jérôme Auger, deux Choletais : algérie Souvenirs croisés (publication Bandes à part, 2013, avec la région Pays de Loire, imprimé chez ART MEDIA – 85290, Mortagne-sur-Sèvre).

Douze témoignages d’habitants de Cholet qui ont eu un lien fort avec l’Algérie. C’est passionnant. Il était présent à la rencontre où j’ai parlé de Le pays natal (éd. Elyzad) et Le pays de ma mère, voyage en Frances (éd. Bleu autour), à la médiathèque Saint-Léger-sous-Cholet avec Chantal Barbier-Zétule. Nous nous sommes promenées le lendemain dans Cholet où j’ai vu, comme dans chaque ville de France où je m’arrête, le monument aux morts 14-18. Impressionnant. Sous la statue d’une femme vestale (la France ?) protégée par deux ailes géantes, l’inscription en lettres d’or :


la victoire
ouvre le livre d’or
de la France
à la glorieuse page
de Cholet

Au-dessous, en belles lettres de pierre, incrustées dans la pierre : "Marne  Yser  Somme  Verdun".

Et sur une plaque, les noms des soldats morts : "guerre d’Indochine  guerre de Corée  guerre d’Algérie  guerre du Liban".

J’ai rarement vu un monument aussi sophistiqué.

J’ai marché dans la ville, jusqu’à la mosquée. Devant la porte, des chaussures et une femme assise sur le seuil. Elle surveillait les biens des fidèles ou les étrangères trop curieuses ?

Deux belles écoles « Marie Curie », rue Marceau, comme je les aime. Identiques, pierre et brique, une belle horloge au sommet, cheminées en brique : École de filles / École de garçons. Les photos avec l’appareil jetable sont pâles. On distingue à peine un palmier dans la cour de l’école de filles.


Cholet, rue du Dr Coignard, 18 octobre 2013 (coll. part.)


Cholet, 18 octobre 2013 (coll. part.)


Cholet, sur la place, 18 octobre 2013 (coll. part.)


Cholet, sur la place, 18 octobre 2013 (coll. part.)


Cholet, sur la place, 18 octobre 2013 (coll. part.)

 

18 octobre

Avant la librairie L’Odyssée de Catherine Laborit, Clisson, au bord de la Sèvre nantaise. Un pont coudé comme celui de Bourdeilles en Dordogne, une très belle église sur la colline, un château et Jeanne d’Arc sous les tilleuls. Partout où je vais, je la retrouve… Parce que j’ai parlé d’elle dans le dernier livre Le pays de ma mère ?


Photos prises à Clisson, Loire-Atlantique, 18 octobre 2013 (coll. part.)


18 octobre (suite)

À Vallet, la librairie L’Odyssée, pour Le pays natal et Le pays de ma mère. Une librairie chaleureuse, une libraire passionnée, des lecteurs et des lectrices aussi passionnés du livre Gutenberg. Adeline Olivier que j’avais rencontrée à Nantes pour Shérazade est là avec Clément son neveu qui a lu Une femme à sa fenêtre, nouvelles du grand livre du monde, dessins de Sébastien Pignon (éd. Alain Gorius Al Manar), sa mère et une jeune amie. Clément, grâce à un joli chat roux impertinent, ne s’est pas ennuyé… J’ai eu le temps avec Catherine Laborit, d’aller jusqu’au cimetière où les tombes des Manouches de Vallet sont des tombeaux familiaux riches et baroques, colonnes de marbre, portes vitrées, toit en forme de coupole. Le portrait du défunt, des défunts est orné de fleurs artificielles très colorées. Les Manouches habitent tout près, sur une aire avec des constructions solides et des caravanes, une aire louée ou achetée à la municipalité. Les enfants vont à l’école six mois à Vallet, six mois ailleurs, suivant les voyages. Les familles évitent d’inscrire leurs enfants au collège, ils risqueraient de perdre leur langue et leur culture. Pour les meilleurs d’entre eux, que fait l’école ? Je pose la question à Catherine Laborit. Elle ne sait pas. Il faudrait faire un travail de journaliste.



Actualisation : juillet 2014