Journal d’une femme à sa fenêtre
(suite 25)


Avril-mai 2014

 

Sur le bitume, dans le 13e arrondissement, des inscriptions étranges. À Hébron, une nouvelle colonie. Le Bourget, rencontre annuelle des musulmans de France. Salon de l’érotisme à Paris. Le berger des Hauts Plateaux près de Tiaret dans la région de la conteuse Nora Aceval. Jean-Louis Hurst, l’auteur du livre Le déserteur, inhumé à Alger dans le cimetière chrétien de Diar Essaâda, le 22 mai 2014. Les jeunes filles enlevées par Boko Haram, terroristes islamistes au Nigeria. Les années noires algériennes.

 

10 avril

Place Claude Bourdet dans le 13e arrondissement à Paris. Autour de la place, la librairie de Fabienne Olive, Les oiseaux rares, le lycée Rodin, le boulanger-pâtissier traiteur qui fait le bon pain « Parisse », le Café Noisette, Bar Tabac Loto, tenu comme plusieurs Bar Tabac Loto dans le 13e et à Paris par des Chinois, et Le Monaco, Café Bar Restaurant français qui marque son identité par des objets de la vie paysanne exposés dans les vitrines et à l’intérieur du café. À quelques mètres, l’école communale, Troisième République, sur le mur un graffiti « L’école est la prison de l’ESPRIT ». A-t-il été écrit par les personnes qui ont tracé les mots sur le bitume dans ce périmètre ?

 

      « Elles disent frappez la terre
il faut que le cercle des danseuses
fasse la révolution
et qu’elles portent
leurs yeux de toutes parts. »

      « Elles disent ils t’ont dérobé la passion de connaître
ils ont fait de celle qui n’est pas celle qui ne parle pas celle qui ne possède pas
celle qui n’écrit PAS
ils ont fait de toi une créature
vile et déchue ils t’ont bâillonnée
           TROMPÉE »

Dessinée sur les pavés, une signature sibylline.
Personne ne s’arrête pour lire les textes.
Comment savoir qui les a écrits ?
Je n’ai pas pensé à le demander à Fabienne Olive, la libraire.






Lycée Rodin en face de la librairie, 10 avril 2014. Paris 13 (coll. part.)




En face de la librairie, 10 avril 2014. Paris 13 (coll. part.)


En face de la librairie, 10 avril 2014. Paris 13 (coll. part.)




L’école communale, 10 avril 2014. Paris 13 (coll. part.)




Un mur de l’école communale, 10 avril 2014. Paris 13 (coll. part.)

 

 

13 avril

L’ancien chef d’état-major israélien autorise une nouvelle colonie dans la vieille ville d’Hébron. La colonisation de la Cisjordanie se poursuit dans l’impunité. Depuis un demi-siècle, c’est la stratégie politique des dirigeants, coloniser jusqu’à ce qu’un état palestinien n’ait plus l’espace géographique d’un état viable.

 

20 avril

Au Bourget, rencontre annuelle des musulmans de France, culturelle et commerciale. Idéologique. Des jouets pour une éducation islamique des enfants. Sur Halalbox, des activités halal. Des veilleuses lisent le Coran aux nourrissons. Des doudous sans visage portent le hijab…

 

30 avril

À la Foire de Paris, le Salon de l’érotisme. Dans « L’Espace coquin », des sex-toys en forme de tour Eiffel, colorés. L’association « Plaisir de France » vend des sex-toys fabriqués en France. Vente en hausse. On recommande aux couples de poser des sex-toys au lieu de livres, sur la table de chevet « pour provoquer le dialogue et se réinventer une sexualité récréative », dit Camille Emmanuelle, spécialiste de l’érotisme au féminin… Elle parle d’un « événement populaire », d’une « démocratisation de l’érotisme », de « la culture sexy ». Elle recommande d’écrire le plus souvent possible des « sextos ». Une vraie foire…

 

Mai 2014

Nora Aceval m’envoie ces photos d’un berger des Hauts Plateaux algériens, près de Tiaret, prises par son fils Mustapha Chaïb.
Nora collecte depuis plus de vingt ans des contes des Hauts Plateaux et du Maghreb. Racontés en arabe (sa mère était une nomade de la tribu Sidi Khaled), elle les traduit en français (son père était colon dans la région de Tiaret) et les publie chez Alain Gorius-Al Manar avec des dessins de Sébastien Pignon.
Dans un récit d’enfance : L’enfance des Français d’Algérie, à paraître en octobre 2014 (éd. Bleu autour), Nora raconte comme la ferme de son père a été incendiée sur ordre du FLN, alors qu’il était favorable à l’indépendance de l’Algérie et se sentait plus algérien que français.




La canne du berger, région de Tiaret (Algérie). Photo Chaïb Mustapha, 11 avril 2014.




Le berger sur le bord de la route (avec son autorisation), région de Tiaret (Algérie). Photo Chaïb Mustapha, 11 avril 2014.

 

 

13 mai

Mort de Jean-Louis Hurst, à Villejuif.
Nora Aceval a assisté à l’inhumation de Jean-Louis Hurst au cimetière chrétien de Diar Essaâda, le 22 mai à 10 heures, à Alger.
L’auteur du livre Le déserteur ignorait qu’un drapeau algérien recouvrirait son cercueil.
Je l’avais rencontré souvent au cours de manifestations dans les années 1980. Beau, exalté, idéaliste. J’ai enregistré en 1999 un long entretien avec lui pour une série intitulée Passion algérienne. J’avais ainsi rencontré Michelle Perrot, Pierre Vidal-Naquet, Josette Audin, Henri Alleg, Fanny Colonna, François Maspéro, Christiane Klapish-Zuber. Je les publierai un jour dans un livret.

 



Inhumation de Jean-Louis Hurst à Alger, 22 mai 2014 (photo Nora Aceval).

 



Inhumation de Jean-Louis Hurst à Alger, 22 mai 2014 (photo Nora Aceval).

 

 

13 mai

Les 200 jeunes filles enlevées au Nigeria par le groupe Boko Haram n’ont pas été retrouvées. Le chef, Abubakar Shekau, déclare dans une vidéo les avoir converties à l’Islam. On les voit en jilbab, le long voile, visage flouté, elles récitent la fatiha coranique. Mobilisation internationale sans résultats. Elles n’iront plus à l’école, interdite par Boko Haram (le livre c’est illicite). On les aura mariées dans le fief de Boko Haram, dispersées dans des familles qu’elles serviront comme esclaves domestiques et sexuelles. Je repense aux années noires algériennes où le GIA, groupe islamiste armé, enlevait des jeunes filles à leur famille pour servir les terroristes au maquis. Mariages forcés, viols, assassinats. Les familles recevaient, en guise de menace, un savon noir pour la toilette mortuaire et un morceau de tissu qui figurait le linceul. Est-ce que l’Algérie écrit l’histoire réelle de ces années 1990 ? Avec la « concorde civile » ordonnée par le Président Bouteflika il n’y a pas de comité Vérité Justice pour dire, de part et d’autre, ce qui s’est passé en vérité. Rien n’a été réglé, jugé, réparé… L’état de l’Algérie aujourd’hui, incurie, corruption généralisée, inégalités sociales, désespérance de la jeunesse… Tout cela est lié à l’incompétence du pouvoir, à la cupidité des puissants, à la vacance de l’État et des pouvoirs publics.
L’Algérie n’a pas connu de « Printemps arabe », l’hiver perpétuel est son châtiment.

 

 

Actualisation : août 2014