Journal d’une femme à sa fenêtre
(suite 26)
Juin-juillet 2014
Le président Mitterrand en Dordogne. Mehdi Nemmouche. Les prostituées de Belleville à Paris. L’ABCD de l’égalité. Israël bombarde Gaza occupée. Luc Thiebaut en Algérie, la Singer. Réouverture des synagogues en Algérie ? De l’eau sale dans les rues de Jérusalem-Est, nouvelle arme anti-émeute contre les Palestiniens. Zarafa la girafe pour Lucien Igor Suleïman.
Juin 2014
Jeanine Sanchez qui a vécu dans l’école de ses parents, instituteurs à Chenaud, le village de mon grand-père, au bord de la Dronne, m’envoie une coupure de presse inattendue : M. Mitterrand en Dordogne. « J’avais envie de revenir dans mon pays d’origine. C’était pour moi une grande joie que d’aller à Saint-Aulaye, Chenaud, Aubeterre, Saint-Privat et de parcourir les chemins que je connais depuis très longtemps. » Chemins de l’enfance de ma mère, de mon enfance, que je raconte dans Le pays de ma mère, voyage en Frances (éd. Bleu autour, dessins, aquarelles, gravures de Sébastien Pignon, 2013). Chemins de François Mitterrand…
Jeanine et Émile surveillent, comme moi, la cigogne de Chenaud. Elle est peut-être tombée au moment où j’écris. Je ne le saurai pas, je n’irai pas à la Gonterie cet été.
3 juin
Dans le journal Le Monde, un portrait du jihadiste assassin de Tourcoing, Mehdi Nemmouche, 20 ans, antisémite comme Mohamed Merah de Toulouse, il y a deux ans, qui a assassiné des juifs, adultes et enfants.
De foyers en familles d’accueil, il est élevé, en partie, par sa grand-mère. Délinquant, il se radicalise en prison, comme plusieurs Arabes de France. Il voyage autant que Merah, en Turquie, Asie, Syrie. À son retour de Syrie, il tue quatre personnes au musée juif de Bruxelles. Dans ses sacs, lors de son arrestation à Marseille le 30 mai 2014, à côté de la kalachnikov, des munitions, d’un revolver, un drap blanc avec des inscriptions en arabe « État islamique d’Irak et du Levant » « Dieu est grand ». Son linceul ?
Fin juin
Je marche sur le boulevard de la Villette et le boulevard de Belleville à Paris. Des hommes du Sud assis sur les bancs, bavardent. Des clandestins désœuvrés. Ils regardent passer les prostituées chinoises, jeunes et moins jeunes, ensemble comme des collégiennes à la sortie de l’école, elles parlent, elles rient. La Chine n’est pas loin. Les femmes et jeunes fille arrivent. Elles devront rembourser leur voyage (combien de passes ?) et travailler pour une proxénète chinoise dans des salons de massage. Depuis 2005/2006, ces Chinoises viennent de la Chine du Nord, 15 clients par jour, 20 à 40 euros la passe dans des caves et des appartements misérables. On les appelle « Les Marcheuses ».
Juillet 2014
Les adversaires de l’ABCD de l’égalité sur les stéréotypes Masculin/Féminin, ont gagné. Les ministres de l’Éducation nationale, Benoît Hamon et des Droits des Femmes, Naja Vallaud-Belkacem retirent courageusement les ABCD… Farida Belghoul triomphe. Martine Storti, dans une tribune du journal Le Monde analyse très justement la dérobade des ministres. Elle avait participé, avec d’autres femmes, au numéro spécial des Temps Modernes que j’avais dirigé « Petites filles en éducation » (mai 1976). Depuis l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, l’éducation des filles les a conditionnées à un rôle de mère-épouse-femme au foyer exemplaire lié à la différence des sexes, Justification de leur infériorité naturelle. On sait, depuis les divers mouvements de femmes en Europe et en Amérique, que la différence des sexes n’autorise pas ces préjugés et stigmatisations. Mais les idéologies sexistes, misogynes résistent encore à travers le monde à cette analyse qui démontre que le cerveau des femmes est identique à celui des hommes.
8 juillet et les jours suivants
Opération israélienne contre les missiles de Gaza « Bordure protectrice » après « Pluies d’été » en 2006, « Plomb durci » en 2008-2009, « Pilier de défense » en 2012. Le 11 juillet, Netanyahou a déclaré qu’il était opposé à la création d’un État palestinien souverain. L’occupation de Gaza se poursuit, malgré les divers accords signés : l’État israélien contrôle le registre d’état civil, les eaux territoriales, l’espace aérien et l’unique terminal commercial. Les Gazaouis n’ont pas le droit d’accéder à leurs terres agricoles le long de la frontière avec Israël. 70 % de la population dépend des distributions d’aide humanitaire. La situation s’est aggravée depuis le départ des soldats israéliens, le 11 septembre 2005. Le blocus est toujours en place, les habitants de Gaza ne circulent pas librement. Le Hamas de son côté a violé les accords de cessez-le-feu en important par les tunnels des missiles qu’il envoie sur Israël. L’arme des faibles face à l’arsenal aérien et maritime d’Israël. D’où le nombre de morts civils gazaouis : environ 1 000 pour 10 Israéliens dont des soldats. Beaucoup d’enfants ont été tués par des bombardements « ciblés »…
O parle de paix. Quelle paix dans ces conditions ? Quelle paix quand Israël poursuit cyniquement une colonisation qui ne laissera pas d’espace pour la création d’un État palestinien. Colonisation stratégique depuis des décennies.
Quelles sanctions internationales contre des crimes de guerre ? Contre la colonisation illégale ?
Mi-juillet
Je reçois une photo de Singer en Algérie à Sidi-Aïch, prise par Luc Thiébaut que j’ai rencontré à Dijon il y a quelques années. Il dirige une « Maison de la Méditerranée » et voyage souvent en Algérie. Il me parle des synagogues de Constantine, Béjaïa, Setif et Batna, son cimetière juif.
Sidi-Aïch en Algérie, juin 2014 (Photo : Luc Thiebaut).
Je lis dans le journal Le Monde que Mohamed Aïssa, le nouveau ministre algérien des Affaires religieuses, envisage la réouverture des 20 synagogues fermées dans les années 1990. Il rappelle que la Constitution autorise le non-musulman à pratiquer sa religion. Opposition farouche des salafistes.
29 juillet
Sur l’esplanade de la République à Paris, les silhouettes des deux cents jeunes filles enlevées par Boko Haram au Nigeria.
Place de la République, 29 juillet 2014, jeunes filles de Boko Haram (coll. part.).
Place de la République, 29 juillet 2014, jeunes filles de Boko Haram (coll. part.).
Fin juillet
Un nouveau procédé contre les manifestations à Jérusalem : projeter dans la rue, sur les murs des maisons, un produit nauséabond, pour empêcher les habitants de sortir dans le quartier Est palestinien. Sanction collective, punition, humiliation. L’odeur persiste dans les maisons, sur les vêtements. « On nous traite comme des rats ou des moustiques » dit une Palestinienne.
Je retrouve le livret d’un projet de Sébastien pour un album jeunesse Zarafa la girafe pour Lucien Igor Suleïman.
Le périple de la girafe Zarafa offerte par le pacha d’Égypte au roi français Charles X en 1826. « Fille des déserts », « Fille d’Afrique », la girafe, accompagnée par le savant Geoffroy Saint-Hilaire depuis Marseille jusqu’à la ménagerie royale du Jardin des Plantes, éblouit la France entière. Elle portait une amulette coranique jusqu’à sa mort en 1845.
J’ai vu la dépouille naturalisée de « La belle Égyptienne » au Muséum de la Rochelle.
Durant son exil parisien, on lui a offert une amie girafe, elle s’ennuyait, on les a appelées « Les Égyptiennes »
Photos suivantes : "Zarafa la girafe", Sébastien Pignon.
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