Leïla Sebbar
Journal d’une femme à sa fenêtre (Suite 3)

Mai 2011


Portrait de Lucien Igor Suleïman par Sébastien Pignon (2011)

 

Mai

La machine à écrire JAPY. Sophie la girafe. La NAKBA, des Palestiniens assassinés par l’armée israélienne à la frontière. L’affaire DSK à New York. La fin du crime d’honneur en Cisjordanie. Les « Indignés » espagnols. La Libye, l’enlisement. L’éducation de la poupée. Portraits de Lucien Igor Suleïman par Sébastien Pignon.

Un dimanche du mois de mai, Lucien Igor Suleïman découvre la machine à écrire JAPY (il écrit trois lignes) avec laquelle mon père a tapé mon DES (Diplôme d’Études Supérieures) sur deux romans de George Sand où j’analysais le mal-être des personnages dans Indiana et Jacques. J’envoyais le texte manuscrit à Alger et mon père me le renvoyait tapé à Paris. Je n’ai retrouvé ni le texte manuscrit ni le texte dactylographié. Mais mon père a gardé la précieuse machine.

Je lis un article sur Sophie la girafe, le jouet des nourrissons (916 000 ventes en 2010). Lucien Igor Suleïman n’a pas eu sa girafe, mais j’ai écrit pour lui l’histoire de Zarafa la girafe offerte par le Pacha d’Égypte au roi de France Charles X. Un jour un livre illustré par Sébastien ?

 

Dimanche 15 mai

Les Palestiniens, qui ont mis fin aux divisions Hamas/Fatah avec les révoltes arabes, c’est l’aspiration principale des jeunes Palestiniens, ont commémoré la NAKBA, « la catastrophe » de 1948 qui les a chassés de leur terre (750 000). Ils ont manifesté près des frontières, Palestiniens du Liban et de Syrie, l’armée israélienne a tiré comme les troupes du despote syrien, 12 morts, 200 blessés. Pas de scandale au plan international.

Lifta près de Jérusalem. Village palestinien 2011 (Dessin de Sébastien Pignon, juin 2011)

Lifta près de Jérusalem. Village palestinien en ruines 2011 (Dessin de Sébastien Pignon, juin 2011)

 

Mardi 17 mai

Les esprits et les médias sont occupés par l’affaire Dominique Strauss-Kahn au Sofitel, palace de New York. On bavarde, on suppute, on s’excite à partir de rumeurs. On ne connaît pas encore les résultats de la police scientifique. Aucune importance… Politiques, journalistes, experts… citoyens… Chacun, chacune sa fiction. « Personnage de roman, de cinéma… » On écrit des scénarios Hollywood, télé, gourmands de détails, cupides. On a oublié la victime qui aurait été agressée, une femme de chambre jeune, noire, musulmane. On a oublié la NAKBA, les Palestiniens assassinés, les Arabes en révolte ! La société du spectacle dans sa plénitude narcissique, indécente, accélérée par la haute technologie, ses perversions.

 

20 mai, au Sélect

Je lis, dans Le Monde cette histoire de crime d’honneur en Cisjordanie à Sourif, une jeune fille est assassinée par son oncle parce qu’il est opposé à son projet de mariage. Les frères de la jeune fille organisent des manifestations jusqu’à ce qu’ils obtiennent l’abrogation de l’article du Code pénal en vigueur. Les jeunes se soumettent de moins en moins aux lois patriarcales dans le monde arabe.

 

Mai

Le joli mois de mai. Puerta del Sol à Madrid la place comme en Tunisie et en Égypte est occupée nuit et jour par les villages de tentes de la « Génération perdue », « Les indignés » contre le capitalisme financier prédateur, les banques accapareuses, les « 15 M », 15 mai, premier jour de l’occupation, comme ils se nomment, ils disent « La fin de nos rêves sera votre cauchemar ». D’autres villes suivent, Internet joue son rôle d’informateur et de rassembleur, comme dans les pays arabes, d’autres pays d’Europe suivront, contre l’injustice, les jeunes sans emploi se révoltent. Rien n’est fait contre les grands patrons qui délocalisent supprimant chaque jour des emplois au nom de la mondialisation. Les partis ne protestent pas, ni les gouvernements démocratiques, l’Europe sera bientôt en ruines, qui s’en inquiète ? « Les Indignés ». Que pensent-ils faire ? La protestation pacifique suffit-elle ? À suivre…

 

24 mai 2011

La coalition s’enlise en Libye. Kadhafi ne cède pas. La France envoie 16 hélicoptères de combat « Tigre » et « Gazelle » le navire de guerre s’appelle « Tonnerre ». On se croirait dans un jeu de cour d’école. 750 000 personnes ont fui la Libye, Libyens, travailleurs immigrés africains qu’on maltraite, asiatiques, à sa frontière, la Tunisie doit recevoir des dizaines de milliers de réfugiés, zone de conflits qui s’ajoutent aux difficultés de l’après-Révolution.

La France n’a rien à faire en Libye ni en Afghanistan. Qui peut croire à ses « buts de guerre » ? Les soldats eux-mêmes, officiers ou non sont dubitatifs. Pourquoi pas la Syrie où Bacher Al Assad massacre son peuple et le Yémen… L’aide à Ouattara ne résoudra pas la guerre civile et religieuse larvée. Ces pays ont droit à leur histoire, à faire leur propre histoire avec ou sans violence, en toute indépendance.

 

Mai

Comme je poursuis les Femmes sur cartes postales anciennes (en ce moment, je cherche des femmes corses), je poursuis les poupées sur papier livres du 19e siècle. Je procède ainsi par cycles, séries, listes, suites… De même pour les recueils d’enfance d’écrivain, de même pour les abécédaires.

À la librairie Corcelle, « Livres et jeux anciens » 29 rue de condé, non loin du Jardin du Luxembourg (le libraire recherche pour moi l’abécédaire de Mademoiselle Lili), je ne résiste pas. Un petit livre illustré : L’éducation de la poupée (Paris, Billot, éditeur, 79 rue Madame, 1881) texte du Dr Brochard, illustrations par Adrien Marie. Une petite fille blonde apprend son métier de mère avec sa poupée. Un véritable traité d'éducation. Les leçons d’hygiène, de santé (on la vaccine), la nourriture, les vêtements de saison, la couture, la lecture des contes de fées… la « petite maman » apprend l’obéissance à sa poupée si elle désobéit, ses bras seront attachés la nuit. La poupée sait écrire, elle ne suce pas sa plume, ne tache pas sa robe avec l’encre. La récompense : les bains de mer et le voyage en train.

Sur les doubles pages blanches, Sébastien a dessiné des portraits de Lucien Igor Suleïman à l’encre de Chine. Il regarde la télévision.

 



Portraits de Lucien Igor Suleïman par Sébastien Pignon
(2011)

 



Illustrations extraites de L’éducation de la poupée (Paris, Billot, 1881)

 

Une histoire de cigogne. À Charleville-Mézières, un pâtissier met une cigogne sur son chalet pendant la fête de la bière. La cigogne disparaît. On est en 2006. Le pâtissier reçoit des photos de la cigogne Kévina, depuis Paris, Berlin, Sydney, New York… quelques années plus tard, retour de la cigogne à Charleville-Mézières. Le pâtissier l’a confiée à un ami pour une vente aux enchères. 440 euros pour les Restos du Cœur.

Les Nains de jardin ont connu, eux aussi, des aventures semblables. Je crois même qu’il a existé un « Gang des nains de jardin ».

Actualisation : juillet 2011