Leïla Sebbar
Journal d’une femme à sa fenêtre (Suite 5)
Juillet 2011
Paris Butte aux Cailles, 13e. Juillet 2011 (coll. part.)
Yves Jeanmougin et Paul Faizant à Sidi Ghiles (ex-Novi). Tunisie. Olympe de Gouges à la Butte aux Cailles. Libye. Photos de Femmes d’Afrique du Nord, offertes par Alain Vircondelet. La paille brûlée. Les platanes abattus. Syrie.
3 juillet
Yves Jeanmougin qui photographie avec passion Marseille, sa ville, Casablanca sa ville natale, l’Algérie, le pays de Jean Sénac et de Paul Faizant, revient d’Algérie et de Sidi Ghiles (ex-Novi, où j’ai rencontré Paul et Suzel Faisant, avec Guy Cabort-Masson, le compagnon martiniquais de ma sœur Danièle, compagnon du FLN en Algérie, indépendantiste et fondateur de la première école de langue créole à la Martinique). Yves et Paul à Sidi Ghiles près de Tipasa ont passé plusieurs jours ensemble. J’aurais voulu être avec eux.
Yves Jeanmougin et Paul Faizant à Sidi Ghiles (ex-Novi) en Algérie. Juillet 2011.
7 juillet
Inquiétude en Tunisie. Retour des islamistes. Nombre d’entre eux ont participé aux manifestations pour le départ de Ben Ali. Le mouvement Enahda compte 30 000 membres, malgré la répression, ils sont organisés. Dans les universités des femmes islamistes revendiquent le port du hijab. Certains prônent le retour à la charia, préconisent un état islamique. On les appelle « Les intégristes dormants ».
8 juillet
Je marche vers la Butte aux Cailles en passant par le square Brassaï pour l’odeur du figuier. Rue Alphand, une silhouette au pochoir de l’atelier de la Bièvre Lezarts près de l’affiche du 9 mars qui rebaptise la rue Alphand en « Rue Olympe de Gouges » « Révolutionnaire féministe », guillotinée en 1793, elle avait écrit « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune ». Michelle Perrot en parle dans le livre d’entretiens avec Nicole Bacharan : La plus belle histoire des femmes (Seuil, 2011), livre auquel ont participé Françoise Héritier et Sylviane Agacinski. Un livre qui devrait figurer au programme de toutes les sections des lycées.
Paris Butte aux Cailles, 13e. Juillet 2011 (coll. part.)
12-13 juillet 2011
Vote à l’Assemblée nationale de la poursuite de la guerre en Libye. Le PS ne s’y est pas opposé. Intervention en Libye avec l’accord de l’ONU pour la protection des civils est un leurre pour supprimer Kadhafi. C’est la guerre civile en Libye entre tribus et territoires Ouest/Est Tripoli/Benghazi. Les opposants à Kadhafi ne sont pas des démocrates, on le verra au retrait des pays occidentaux, la guerre civile s’aggravera comme elle s’est aggravée en Irak, doublée d’une guerre de religions. La France gravement endettée poursuit ses interventions militaires sans discernement. Parce qu’il s’agit d’une armée de métier et que les morts ne sont pas de jeunes appelés comme en Algérie, il n’y a pas de manifestations pour le retrait immédiat des troupes en Libye et en Afghanistan. On n’entend pas non plus la communauté arabe et musulmane de France.
15 juillet
Je reçois une enveloppe « Scènes et types. Études académiques » de femmes d’Afrique du Nord, de Alain Vircondelet. Il travaille, je crois, à un livre sur l’Algérie. Je lui ai demandé un texte pour Le pays natal, un recueil que je dirige pour les éditions Elyzad. Les photographies sépia (9 x 6 cm) disent clairement le studio et la pose du nu, habillé de bijoux exotiques suivant les désirs et les caprices du photographe européen, pour satisfaire le voyeurisme de l’Occident sur un Orient féminin imaginaire, lascif, et vérifier les stéréotypes véhiculés par les voyageurs et les guides touristiques de la fin du XIXe siècle. Je pensais connaître les modèles avec le travail effectué pour les trois éditions de Femmes d’Afrique du Nord (Bleu autour) mais j’en découvre plusieurs dans le lot. Une belle surprise.
17 juillet
600 tonnes de paille destinée aux agriculteurs « Solidarité sécheresse » incendiées par des adolescents. Soleil pour les touristes, détresse pour les paysans. Pour quelle raison cela me touche, chaque fois que les paysans souffrent ? Parce que, je pense, la famille de ma mère, périgourdine, était une famille de terriens. La sensibilité de ma mère à la nature m’a souvent surprise. La Gonterie a fleuri grâce à elle, le verger existe grâce à elle. Ma mère ignore qu’un cognassier a été abattu, qu’il n’y a plus de reines-claudes aux pruniers, que les figuiers peinent à pousser, que les pivoines et les hortensias sont morts… Je crois que c’est parce qu’elle n’est plus là, main verte, vigilante, patiente, comme ses ancêtres périgourdins.
Ma mère aurait été aussi malheureuse que moi qu'il y ait des des milliers de platanes à abattre, le long du Canal du Midi depuis Bordeaux, la ville de sa rencontre amoureuse avec mon père, jusqu’à la Méditerranée. Un champignon tueur a terrassé les arbres. On a promis de les remplacer par des frênes, l’arbre des montagnes kabyles, et des platanes résistants. Que cela soit.
19-20 juillet
À la station Raspail, une affiche pour le Parc Astérix « Là-bas les pavés… Ici la plage », détournement grossier du slogan de mai 1968 : « Sous les pavés, la plage. » En Tunisie sur des calicots lors de la révolte, on pouvait lire « Sous les pavés, le jasmin ».
La pluie, fin juillet (les vœux du prêtre congolais ont été entendus…). La récolte de blé sera sauvée.
Fin juillet
En Syrie la répression se poursuit. Arrestations massives. Aucune manifestation en France, en Europe, pour protester contre Bachar El Assad. Inertie politique.