Leïla Sebbar
Journal d’une femme à sa fenêtre (Suite 8)
Octobre - Novembre 2011

 

La mosquée du Président. La semeuse américaine. Le cimetière d’Angers, les stèles militaires en forme de glaive. Le carré musulman. Vote en Égypte. La légende de Hanna Mimouna, les deux Koubbas des Hauts Plateaux. Sex toys. Les platanes du canal du Midi. La cigogne de Chenaud (Dordogne).


21 octobre

Samira me dit qu’un ancien domaine agricole avec cave vinicole, au Caroubier près d’Alger, vient d’être entièrement détruit pour construire une mosquée géante, la mosquée du Président « Il achète sa place au Paradis… ».
Elle me dit aussi la difficulté de faire vivre et prospérer une exploitation agricole. Une amie travaille à son orangeraie et à son oliveraie, les enfants du bourg qu’elle a vus grandir volent ses oranges et ses olives, on en veut à une femme de réussir dans un domaine réservé aux hommes ? Samira ajoute que le vol n’est pas consécutif à la pauvreté, les voleurs ne volent pas pour manger mais pour revendre les fruits volés et transportés par camions. Les plaintes à la gendarmerie, lorsqu’elles sont enregistrées, ne donnent rien…


11 novembre


Je reçois, ce matin, cette photographie d’une fresque publique à New York. C’est Stephen J. Vogel qui me l’envoie. Je l’avais remarquée lors d’une rencontre à New York City. Qu’il en soit remercié.

New York années 2000. Photo Stephen J. Vogel, 2011.


15 novembre

Avec Dalila Morsly au cimetière de l’Est à Angers. On nous donne une carte du cimetière où sont signalées les tombes « intéressantes ». Je cherche les tombes musulmanes privées et militaires. Deux carrés militaires 14-18, 39-45. Les stèles sont différentes. Dans le carré 39-45, des stèles de victimes civiles, des stèles musulmanes et juives avec l’étoile de David. Des bouquets de chrysanthèmes partout. Les jardiniers travaillent. Le carré 14-18. Des stèles étonnantes « Souvenir français » en métal ouvragé. La croix en forme de glaive, une branche de laurier à la base, la stèle musulmane en forme de dôme, étoile et croissant, une branche d’olivier à la base. Rien de cela n’est signalé sur le dépliant des tombes remarquables. Il faudrait aller au service des Archives d’Angers pour connaître l’histoire de ces stèles et l’artisan qui les a dessinées et fabriquées.
Un carré musulman où les tombes sont orientées vers La Mecque. Lettres arabes, bol pour les oiseaux.

Angers, 15 novembre 2011. Cimetière de l’Est (Coll. part.).


Angers, 15 novembre 2011. Cimetière de l’Est (Coll. part.).



Angers, 15 novembre 2011. Cimetière de l’Est (Coll. part.).



Angers, 15 novembre 2011. Cimetière de l’Est (Coll. part.).



Angers, 15 novembre 2011. Cimetière de l’Est (Coll. part.).


18 novembre

Je lis dans Le Parisien à L’alouette une histoire étrange. À Chaillac-sur-Vienne en Haute-Vienne, une petite ville de 1 100 habitants, quelqu’un depuis quelques années (personne n’avait rien remarqué…) fabrique de fausses tombes anonymes, monticule de terre ratissée, fleurs et crucifix. Douze tombes sans mort réel, tombes virtuelles…


Fin novembre

Les élections législatives en Égypte.
Bureau de vote pour les femmes, bureau de vote pour les hommes. Une foule de femmes en hijeb, sans hijeb, de tous âges, certaines votent pour la première fois de leur vie jeune ou vieille. Leur joie. C’est bouleversant. Quelle que soit l’issue du scrutin, ce sera le choix du peuple égyptien tout entier. Qu’on laisse enfin les peuples faire leur histoire et qu’on ne se lamente pas si, comme en Tunisie et au Maroc, les élections démocratiques ont donné la primauté aux islamistes. Ils ne seront pas les seuls à gouverner, il y aura une coalition et hommes et femmes acteurs des dernières révoltes contre des pouvoirs autocrates, sauront être vigilants.


24 novembre


Nora Aceval m’envoie cette légende des Hauts Plateaux.

Hanna Mimouna
On raconte que Sidi Rabah, le saint, dont la koubba se trouve entre Tiaret et Tissemssilet dans le sud-ouest de l’Algérie, enseignait à des disciples garçons et filles. Parmi les filles, il y avait Mimouna. Elle était pieuse, jolie et présentait toutes les qualités. Sidi Rabah la voulut pour épouse et un jour qu’il était seul avec elle, il lui demanda si elle voulait bien devenir sa femme. Mimouna si pudique éprouva une telle gêne que la terre se creusa sous ses pieds et elle disparut. Elle se retrouva dans un tunnel qui la conduisit de la montagne (celle où se trouve actuellement la koubba de sidi Rabah et la sienne), à une autre montagne. Celle de sidi Abed sur la route entre Tiaret et Sougueur à plusieurs kilomètres, plus au sud.
Une fois l’émotion passée, la jeune femme rebroussa chemin. Sidi Rabah épousa Mimouna qui devint une sainte et que l’on appelle Hanna (grand-mère) Mimouna tant elle fut tendre et aimante avec les filles et les femmes malheureuses. Elle est la Mère des femmes et de la tribu de Sidi Rabah. Hommes et femmes la vénèrent.
À l’endroit où le miracle se réalisa, on édifia une koubba et on ferma l’orifice du tunnel par des dalles de pierre. On dit que les femmes stériles qui se penchent et passent leur corps sous l’une des dalles bien spécifique, devient fertile.
Jusqu’à nos jours, on visite Hanna Mimouna dont la koubba jouxte celle de son époux Sidi Rabah.
Ce récit fut collecté dans la koubba auprès d’une vieille femme, alors que je visitais les lieux avec mon fils aîné Mustapha. En 2010.
Nora

Sidi Rabah route de Tiaret (novembre 2011). Sébastien Pignon (droits réservés).


Sidi Rabah route de Tiaret (novembre 2011). Sébastien Pignon (droits réservés).


25 novembre

Solidarité Sida et la Ville de Paris organisent une « Sex in the city ». Exposition de préservatifs de toutes les couleurs d’un artiste irlandais, « Bar coquin » avec sex toys. Une jeune femme : « J’ai découvert des vibromasseurs qui font clé USB en même temps… » Elle est enthousiaste.

42 000 platanes malades devront être abattus en 10 ans le long du canal du Midi. Les GI’s américains ont importé un parasite dans leurs caisses de munitions en 1944. Catastrophe en Provence Côte d’Azur.
On plantera désormais des tilleuls argentés. La première plantation se fera à Trèbes dans l’Aude à 6 km de Carcassonne.
À Paris, on coupe des marronniers malades eux aussi. On les remplace. J’ai vu 15 employés de la Mairie de Paris à l’œuvre pour replanter un petit arbre, boulevard Arago.
22 décembre
J’apprends que la maison de la cigogne à Chenaud, en Dordogne, non loin de la rivière Dronne, est à vendre. C’était un café, Villepastour, épicerie-tabac, lorsque le village vivait, avec écoles et boulangerie. Il date de 1923, la propriétaire l’a vendu en 1985. Repris par la mairie, il ne trouve pas acheteur. « Même les Anglais n’achètent pas », dit le fils de la propriétaire.
Il vit à Toulouse. Il sait que la cigogne va tomber. Un camion de fourrage l’a accrochée. C’est le neveu du grand-père qui a sculpté la cigogne « Il avait des mains d’or ». Il a connu la famille Bordas, mon grand-père maternel.
Au mois d’août 2012, je saurai si la cigogne a disparu, comme la plaque Singer à Paussac.



Actualisation : avril 2012