Leïla Sebbar
Le voyage, le mien à travers Paris, la France et le monde par presse et images interposés, le voyage des compagnes et compagnons, récits et photographies, dessins… Je relie tout cela dans ma chambre à Paris, à la plume, Catherine Dupin l’envoie à Carole Netter aux USA, elle le met en ligne. C’est grâce à ces amies en communication que je poursuis mes voyages autour de ma chambre.
Boulangerie et diversité. La fresque murale de l’école de la Cour des Noues. Aquarelles de la Dordogne. Une enfance tunisienne, une enfance corse, Aflou. La Singer en Thaïlande. La « Villa Algérienne » d’Arcachon. Le chauffeur de taxi algérien. L’imam de Drancy. Diam’s et Fadela. La Tartine ne s’appelle plus La Tartine. Nouveau propriétaire, nouveau papier pour le pain. La diversité, c’est le mot aujourd’hui pour dire les minorités arabes, africaines, turques… On a peur d’ethniciser, on hésite encore sur le mot métissage, bien que le Président Sarkozy l’ait employé dans son discours sur l’identité nationale, donc la diversité gagne la boulange, ceux qui fabriquent les produits autour du pain. Sur le dernier sachet en papier (je m’amuse à garder les sachets dans lesquels les boulangères glissent le pain), on voit trois enfants à genoux qui mangent des viennoiseries, deux garçons bruns et une fille blonde, un trio Black (léger)/Blanc/Beur (léger aussi). 100 % biodégradable. Recyclable.
Janvier 2010Dans l’école de Lucien Igor Suleïman, la Cour des Nones à Paris, Sébastien a fait une fresque murale (comme il l’avait fait au Cambodge dans l’hôpital de Phnom Penh). Des musiciens en décembre 2009, Zarafa la girafe dans une jungle avec la tour Eiffel au fond et King Kong en janvier 2010 (Lucien Igor Suleïman aime beaucoup la tour Eiffel).
Début janvier 2010Je termine deux recueils collectifs de récits d’enfance, inédits, poursuivant le voyage de la Méditerranée et de l’exil. Avec Sophie Bessis, Une enfance tunisienne (Elyzad), avec Jean-Pierre Castellani, Une enfance corse (Bleu autour). Ils seront publiés en mars 2010. Dans chacun des photos des auteurs enfants. Comme le texte, les photos racontent une histoire. Je pense à d’autres recueils, toujours du côté de l’enfance. Début janvierFatiha Toumi, grande voyageuse, n’oublie jamais la Singer. En Asie la Singer permet encore aux femmes de vivre avec le travail à domicile. Après le Vietnam, la Thaïlande où le tourisme sexuel est toujours florissant des rues entières habitées par des adolescentes qui proposent des massages, prostitution sur la plage de Patong, dans les bars… Rien n’a changé en décembre 2009.
20 janvierJe reçois, de Alain Mascarou, une photo prise à Juan-les-Pins, Villa el djezair, à vendre avec son parc et une carte postale ancienne de la Villa Algérienne des environs d’Arcachon dont m’avait parlé Patrice Rötig. Elle n’existe plus. Alain Mascarou traduit pour les éditions Bleu autour les nouvelles turques de Sait Faik. J’avais rencontré ses élèves dans un lycée à Paris, pour parler de ma nouvelle des Hauts Plateaux, Le Vagabond. Ce qui leur a plu en 4e de couverture « bâtard fils de pute… ». Pas seulement.
Annick Gueneau, la femme de Jean-Claude Gueneau, « L’appelé d’Aflou » dont le récit de guerre à Aflou 1961-62 est publié dans Aflou djebel Amour (Bleu autour, 2010), me téléphone. Elle me raconte, de sa jolie voix, un dialogue avec un chauffeur de taxi à Paris. Le chauffeur est algérien. Il parle de l’Algérie :
22 janvierL’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, s’oppose au port du voile intégral que le Coran ne prescrit pas. Un commando l’a attaqué dans la salle de prière de la mosquée de Drancy, en le traitant de « Traître, suppôt des Juifs, apostat ». On m’a raconté que dans le XIe à Paris, le soir de la victoire des Algériens au foot, des jeunes criaient « Heil Hitler » dans les rues… L’antisémitisme de certains garçons musulmans n’est plus à prouver. Affligeant.
23 janvierCent vingt-trois Kurdes de Syrie, familles avec enfants, ont débarqué en Corse vers Bonifacio. Mystère de leur arrivée. Discrète. Pas de barque pas de passeur. Ils sont là sur la plage, un matin. Ils ne parlent pas. Ils n’ont pas de papiers. En Syrie ils n’auraient pas de papiers d’identité. On les disperse dans des camps en France. La suite ? Diam’s la chanteuse convertie à l’islam porte le hijeb. Paroles « Tu me fais peur Fadela (Fadela Amara) tu ressembles à une sorcière… » La secrétaire d’État avait déclaré à propos des violences en banlieue qu’il fallait les combattre au « Karcher ». Elle parle comme son maître Sarkozy ? Je l’ai connue avant son accession au gouvernement elle n’aurait prononcé ces mots-là.
Février 2010Lucien Igor Suleïman a 4 ans. Comptoir. « Journée sans marques ». Paedophilia de Anne Leclerc, édition de Nancy Huston (Actes Sud, 2010). Métro. Eliette Loup-Hadjeres. « Un Orient de consommation ». Le café social de Belleville, chibanis. Les Camondo au musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.
5 févrierLucien Igor Suleïman a 4 ans.
5 févrierJe vais chez Catherine Dupin pour mes textes. Au comptoir du café Le Sancerre, en face de l’hôpital « La Salpêtrière », je relis une nouvelle. Un client arrive, 75 ans environ. Le patron :
10 févrierUne opération particulière au lycée Jean Renoir à Bondy. « Journée sans marques » « Démarquez-vous ». Un geste transgressif quand les jeunes, conformistes, suivent la mode des marques et font des petits boulots pour s’habiller « comme il faut » sinon, comme ils disent, « les autres ne les calculent pas ». Alycia, Leïla, Sihem, 16 ans, en 1re ES ont lancé cette journée. A-t-elle été suivie, a-t-elle donné lieu à débats… Le Parisien ne le dit pas. La presse est ainsi, elle épingle un fait, le lecteur connaît rarement la suite. Pour inciter le lecteur à « faire travailler son imagination » comme disait Céline ?
10 février 2010Après les pédophiles prêtres de l’Église catholique américaine, de l’Église catholique irlandaise, voici les prêtres pédophiles de l’Église catholique allemande où des jésuites sont mis en cause pour abus sexuels dans de prestigieux collèges qui ont formé les élites du pays.
12 févrierDans le métro Italie – La Courneuve
15 févrierJe ne réussissais pas à joindre Eliette Loup-Hadjeres par téléphone. Samira Négrouche non plus et Nadjet Khadda n’avait pas de nouvelles de Eliette.
Jeudi 18 févrierAvec D. vers Le fumoir après le Pont des Arts. Sur la place de l’Institut à l’Académie des Beaux Arts, une exposition : Un Orient de consommation par Edhem Eldem de l’Université d’Istanbul. Affiches, cartes postales, objets, livres, depuis le Maroc jusqu’à Istanbul, la Méditerranée musulmane regardée, représentée, « consommée » par l’Occident.
26 févrierBoulevard de Belleville. Les trottoirs de ce qu’on n’appelle plus le Tiers-monde mais Pays en développement, Pays émergents… La pauvreté désœuvrée qui déambule, plus pauvre que dans les villes des Pays sous-développés, j’ose cette expression qui n’est pas « politiquement correcte ». Avec D. nous allons au rassemblement devant le café social rue de Pali-Kao, cambriolé dix fois depuis un an… Il existe depuis 2003. Pourquoi un tel acharnement contre ce Café social de Belleville consacré aux chibanis du quartier « vieux migrants précaires » que l’association Ayyem Zamen aide pour leurs droits sociaux. Dans le local-café une grande pièce et des chibanis attablés. Ils parlent entre eux. Ils boivent un mauvais café (je l’ai bu au comptoir, je sais qu’il n’est pas bon), ils parlent, ils ne jouent ni aux cartes ni aux dominos, ils patientent. Je n’ai pas photographié ces hommes, sans carte de presse c’est impossible (j’avais vu l’information le matin même dans Le Parisien au café L’alouette rue de la Glacière, « fondé en 1967 »). Je n’ai pas parlé avec eux. Des journalistes prenaient des photos, recueillaient leurs propos (je n’ai rien lu dans Le Parisien le lendemain).
Fin févrierAu musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, une belle exposition sur la famille Camondo. Pierre Assouline a publié Le dernier des Camondo (Gallimard, 1997). Une famille séfarade exceptionnelle. Grands banquiers esthètes et philanthropes. Espagne, Constantinople (Pierre Loti aurait-il pu rencontrer Abraham-Salomon Camondo, l’ami des sultans ?), Italie où le roi Emmanuel II offre le titre de comte à l’un des fils Camondo pour ses précieux services, Paris, où l’hôtel particulier de Nissim de Camondo est aujourd’hui un musée.
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Actualisation : mars 2010 |