Leïla Sebbar
Voyage en Algéries autour de ma chambre, Suite 14
(Septembre-octobre 2010)


Septembre 2010
Un olivier pour L.I.S. Une gargouille pour Ahmed à Lyon. La « Mihrabox ». Les Cavalières de l’Islam. Quick hallal. « L’effeuillage burlesque ». Les ouvrières Lejaby.

Octobre 2010
La tisserande des Hauts Plateaux. Montluçon, Aflou djebel Amour et Contes libertins avec Nora Aceval, Annick et Stéphane Gueneau. Noyant d’Allier, la pagode et les Bouddhas dorés avec Patrice et Deniz. Rencontres littéraires en Poitou Charentes avec Rosie et Sylviane Sambor. Niort, la « Librairie des Halles ». Messali Hadj à l’hôtel Ambassadeur.


Début septembre 2010

À la Gonterie, en Dordogne, le pays de ma mère, on a planté un olivier pour Lucien Igor Suleïman. Il a pioché avec ardeur.

J’écris des histoires pour lui dans de grands cahiers. Les pages sont en papier pelure cloqué.



Lucien Igor Suleïman. Terrasse de la Gonterie. Été 2010. (Photos Dominique Pignon.)



Lucien Igor Suleïman. Son olivier à la Gonterie. Été 2010. (Photo Dominique Pignon.)



Lucien Igor Suleïman. Terrasse de la Gonterie. Été 2010. (Photos Dominique Pignon.)


À Lyon, polémique sur une gargouille sculptée par Emmanuel Fourchet, à l’effigie de son ami, le chef de chantier Ahmed, soulignée par l’inscription, en français et en arabe « Dieu est grand ». Une tradition des compagnons bâtisseurs de cathédrales, ce signe d’amitié à un compagnon de chantier. L’archevêché est satisfait, mais les jeunesses identitaires catholiques de Lyon protestent. La tour nord de la primatiale Saint-Jean regarde vers le sud. On ignore dans quelle langue elle prie.

 

10 septembre

Invention d’une mosquée portative la « Mihrabox » par l’imam et entrepreneur d’Aubervilliers, originaire de Tunisie. Les modèles indiquent la direction de La Mecque, différents suivant les villes Agadir, Djerba, Dubaï… Roses pour les filles, bleus pour les garçons… Livrés avec la Fatiha coranique : 69 € pour enfants, 99 € pour les adultes, 450 € avec haut-parleur. Hassen Bounamcha a tout prévu.

Les nouveaux humoristes, hommes et femmes beurs sont presque tous marocains. C’est l’effet Jamel Debbouze ? Sophia Aram à France Inter n’est pas toujours très inspirée. Surenchère dans l’obscénité : à propos de Le Pen père invité un matin « C’est un thermomètre dans le cul des Français ». On entend rire les invités.

 

19 septembre

Sites islamistes « Les Cavalières de l’Islam » liste des interdits pour les hommes : pas de pantalon court, pas de soie, ne pas porter d’or, ne pas serrer la main d’une femme… Pour les femmes : ne pas choisir des savons parfumés, pas de chocolat à cause des vapeurs d’alcool, pas de gélatine dans la cuisine… Porter le jilbab, baisser les yeux, ne pas s’adresser aux hommes, obéir au mari, accepter la polygamie… La liste est longue et farfelue. La vie privée sous haute surveillance.
Fatiha Toumi m’envoie la photographie d’une publicité de McDo vue cet été dans les villes de la côte d’azur. Un fantôme qui ressemble à Scream et à une femme en jilbab. Quick hallal… Cynisme ? Provocation ? Humour ?



Photo 4 : Publicité. Été 2010. (Photo Fatiha Toumi.)

25 septembre

Dans Le Parisien que je lis le matin à L’Alouette, un article sur « l’effeuillage burlesque », « Les coquineries School ». Porte de Bagnolet, une maîtresse de chorégraphie et d’effeuillage donne des leçons d’apprentissage de la féminité. Tenue exigée, collants résille, bustier, porte-jarretelles, talons aiguille. Dans le studio de danse, les femmes se pressent. Chacune pourra s’aimer telle qu’elle est, chacune pourra aller dans un sex-shop pour acheter des dessous sexy. Une femme qui n’a pas de dessous sexy de stripteaseuse n’est pas une femme ? La crédulité n’a pas de limites, ni la croyance.

À Rillieux-la-Pape, près de Lyon, les ouvrières de Lejaby occupent le siège de l’entreprise de lingerie. (Trois des quatre sites de production doivent fermer. Délocalisation oblige.) Lejaby, entreprise familiale fondée en 1930 est vendue en 1996 au géant américain du textile Warnaco qui délocalise vers la Tunisie. L’Autrichien Palmers rachète Lejaby en 2008. Plan social en 2010. Les ouvrières étaient fières de leur savoir-faire, aujourd’hui avec la mondialisation, on ne veut plus d’elles. La France se soumet aux impératifs du capitalisme mondial financier, bientôt le pays ne produira plus rien il aura perdu ses savoir-faire, ses industries petites, moyennes et grandes… jusqu’à ses châteaux du Bordelais qui sont achetés par de grands groupes chinois…

 

Début octobre

Je retrouve deux photographies d’une tisserande des Hauts Plateaux algériens. Nora les a prises cet été 2010. Je reconnais le tapis de haute laine noir et rouge d’Aflou.



Tisserande des Hauts Plateaux. Été 2010. (Photos Nora Aceval.)

Appel d’offres pour la construction de 238 logements destinés à des familles israéliennes à Jérusalem-Est. On a parlé d’un moratoire. Quel moratoire ?

 

9 et 10 octobre



Niort, octobre 2011 (coll. part.).

À Montluçon pour un salon du livre et des rencontres littéraires autour de : Aflou djebel Amour (Bleu autour, 2010) et Contes libertins du Maghreb (Al Manar-Alain Gorius, 2008) avec la conteuse des Hauts Plateaux, Nora Aceval.

De Moulins à Montluçon, avec Patrick Rötig et Deniz Ünal, on s’arrête au musée du costume « Vestiaire de Divas » et à Noyant d’Allier où les corons miniers sont habités par les descendants des réfugiés vietnamiens (la nouvelle : Noyant d’Allier, Bleu autour). Une pagode, des statues dorées, un lieu de culte exotique dans les bois de l’Allier.

À Montluçon avec Nora, on a parlé des Hauts Plateaux et d’Aflou. Annick Gueneau, son fils Stéphane et leurs amis de Vichy étaient présents. On a parlé aussi du Journal d’un appelé d’Aflou, Jean-Claude Gueneau (1960-1961). C’était le jour anniversaire de sa mort. On a évoqué la guerre d’Algérie, ses écolières du « Village nègre ». Avec Jean-Claude, on s’était promis de revenir à Aflou pour les retrouver, mères et grands-mères…

Le lendemain, Nora a raconté en arabe et en français des contes libertins. La grâce de Nora permet tout. Benoît de Peufeilhoux, le libraire du Talon d’Achille à Montluçon, a réussi, avec son équipe dont sa jolie femme Odette, à faire de ce salon un salon vivant et joyeux.

J’ai appris par Rolande Tissier, une amie de Patrice Rötig, institutrice, que des familles de harkis ont été accueillies dans l’Allier à Saint-Hilaire les Cités. Elle a enseigné à leurs enfants dans un garage de l’usine de schistes bitumineux. Elle m’a promis de retrouver ces enfants. Monique Ferrier m’a offert des photos d’Aflou (1982-1985), le marché des tapis noirs et rouges, les marabouts…
Le miracle de ces rencontres…

 

18, 19, 20 octobre



Niort, octobre 2011 (coll. part.).

Des rencontres littéraires « Passeurs de monde(s) » en Poitou-Charentes avec Rosie Pinhas Delpuech qui revient de Tel Aviv et Gérard Meudal (j’étais avec lui et Mercedes Deambrosis à Limoges dans la belle médiathèque où j’ai reconnu la toile bleu et or de Rachid Koraïchi). Avec Sylviane Sambor et Emmanuelle Lavoix du Centre du livre et de la lecture, on a voyagé jusqu’à Thouars (dont Michelle Perrot parle dans Mes Algéries en France) et Tounay-Boutonne où la bibliothèque de Dany Dauron se trouve dans l’ancienne école communale (des livres aux livres). Le Marais poitevin a entendu les noms exotiques d’Istanbul, Edirne, Aflou, dans le djebel Amour algérien. À Niort, dans la Librairie des Halles de Anne-Marie Carlier que j’avais rencontrée à Besançon, nous avons parlé d’une langue à l’autre, Rosie et moi. La libraire a ses beaux yeux bleus de Besançon, et, comme Benoît de Peufeilhoux du Talon d’Achille à Montluçon, la grâce passionnée des gens du livre. Que l’amour du livre ne disparaisse pas… Ni les livres de papier.

À Niort dans la librairie, j’ai appris par un lecteur que le fameux nationaliste algérien dont Benjamin Stora a publié la biographie, Messali Hadj a vécu à l’hôtel Ambassadeur, en résidence surveillée, pendant la guerre d’Algérie, non loin de la gare de Niort. Je l’ai retrouvé, je l’ai photographié.

En allant vers la gare, une inscription inattendue : patronage laïque, 1931, rue de la Terraudière. Et dans la vieille ville de Niort, non loin d’un figuier géant, « Rue de la juiverie ». Je demande au facteur pourquoi « Sûrement qu’il y avait des Juifs par là ». Un homme sort sa bicyclette « Vous savez pourquoi ce nom ? » « Non. Mais demandez à la mairie, aux services culturels, ils vous diront. » Je ne suis pas allée à la mairie.

Dans la grande allée des platanes, une manifestation CGT, FO, lycéens, des drapeaux, des slogans contre la réforme des retraites. Sur l’affiche en face du Grand Hôtel, « Capitaliste entends-tu la révolte qui vient ? » Et nous parlions de littérature… Est-ce que des lycéens seraient venus nous écouter, bavarder avec nous à la librairie ? Je n’ai pas vu de lycéens ce soir-là.
À Thouars, en face de la librairie Brin de lecture de Chantal Palluault et Laurence Gastecelle, les vieilles lettres : articles de fumeurs sur le mur, en haut. Elles m’enverront la photo.



Niort, octobre 2011 (coll. part.).

 

Actualisation : février 2011