Leïla Sebbar
Voyage en Algéries autour de ma chambre, Suite 6
(Mai 2009)



Ecole coranique de la Zaouïa
(Photo de Fatiha Toumi, 2008)


« Extension naturelle des colonies » israéliennes en Palestine. Rebecca Rogers et Madame Luce fondatrice à Alger en 1847 d’une école de filles musulmanes ; voyageuses anglaises et françaises en Algérie au 19e siècle. Chibanis marocains au Trocadéro, le 8 mai 2009. Le manège du Trocadéro. Bou Saada, l’école Challon-Thameur, la mosquée ; El Hamel la Zaouïa, l’école coranique, photos de Fatiha Toumi, 2008. Cadavres séchés mis en spectacle. Bourg-en-Bresse, Nicole Deborne et Jules Migonney « l’Algérien », Marcel Vicaire « le Marocain », Gabriel Monnier « le Turc ». Éliette Loup Hadjerès. Clip contre le viol. Nuits d’Alger de Louis Bertrand. 1939, littérature coloniale. Michou Dauber un film de thomas Gilou, 2007. Brasserie Le Vrai Saint-Marcel à Paris.

 

 

1er mai

 

Israël poursuit son travail de colonisation et de destruction à Jérusalem et en Cisjordanie. Gouvernement de droite ou de gauche, même politique d’occupation militaire, de colonies de peuplement protégées par l’armée jusqu’au mur et aux barbelés qui empêchent tout mouvement libre des Palestiniens. Le nouveau chef de gouvernement Nettanyaou affirme « pas d’État palestinien, poursuite de la colonisation ». C’est clair. Maigres protestations internationales, l’Europe signe des traités de coopération avec Israël, pas de sanctions contre l’armée israélienne pour sa guerre contre des civils à Gaza, l’Europe finance la reconstruction de Gaza détruit par Israël, finance les Palestiniens pour les maintenir en vie, Israël n’a toujours pas versé l’argent qu’il doit aux Palestiniens… Israël veut le Grand Israël et la disparition de la Palestine palestinienne.

Pas de permis de construire aux Palestiniens de Jérusalem-Est. On peut détruire les logements, 2 000 depuis l’occupation de Jérusalem-Est. 60 000 Palestiniens chassés de leur maison, des colons israéliens à leur place. Des archéologues travaillent pour démontrer que cette terre est juive. Le quartier Al Boustan risque d’être détruit au profit des colons. Nettanyaou parle « d’extension naturelle des colonies ».

Un jour viendra.

 

 

Début mai

 

Je reçois de Rebecca Rogers, enseignante à l’Université Paris V René Descartes, un courrier concernant la fameuse Mme Luce, fondatrice de l’école « arabe-française » pour les filles musulmanes à Alger en 1847, école-ouvroir reprise en 1870 par sa petite-fille Henriette Luce Benaben. Isabelle Eberhardt a visité cette école. Dans l’une des nouvelles du recueil : Isabelle l’Algérien (Al Manar-Alain Gorius, 2005) dessins de Sébastien Pignon, L’ouvroir. Esmée, Isabelle, Isabelle entre dans la classe de « Lella Benaben », habillée en garçon. La directrice lui confie une mission, relever les modèles des tapis et des broderies du Sud. Isabelle-Mahmoud ne le fera pas.

Dans son article : Décrypter le regard national : voyageuses anglaises et françaises en Algérie au XIXe siècle (Presses universitaires de Strasbourg, 2008), Rebecca Rogers signale le rôle de Mme Luce dans les guides et les récits de voyage des Anglaises et des Françaises. Les Anglaises Barbara Bodichon, féministe, voyage en Algérie comme en 1857, Bessie Rayners Parkes 1857 et 1861, Mabel Crawford, 1863, Ellen Rogers, 1864 elles s’intéressent à Mme Luce et à son entreprise dont elles font l’éloge (Mabel Crawford est plus critique). Mais souligne Rebecca Rogers, les femmes musulmanes ne les intéressent guère, elles sont un élément de décor et de folklore.

Quant aux voyageuses françaises en Algérie, trois récits sur treize parlent de Mme Luce, Anaïs Dutertre, 1853, Louise Vallory, 1860, Hubertine Auclert, 1889 à 1892. Louise Vallory est hostile à l’instruction des filles musulmanes qui deviendront des « Mauresques de transition » autant dire prêtes au libertinage. Hubertine Auclert (voir Hubertine Auclert, pionnière du féminisme, Geneviève Fraisse et Steven C. Hause, ed. Bleu autour, 2007) publie en 1900 Les femmes arabes en Algérie. Pour elle, l’émancipation des femmes passe par l’éducation et le travail salarié. Elle milite en faveur de l’instruction des filles musulmanes et dans ses pétitions au gouvernement, 1882, elle évoque l’école de Mme Luce. Elle affirme aussi que les femmes musulmanes instruites auraient été pour la France en Algérie de précieuses auxiliaires…

Ainsi, remarque Rebecca Rogers, le discours des voyageuses françaises est davantage marqué par l’idéologie colonialiste que celui des Anglaises.

 

 

8 mai

 

Je vais au Trocadéro pour la manifestation des anciens combattants de l’Armée d’Afrique qui ne touchent pas encore les mêmes pensions militaires que les Français. Sur la place, des touristes, des Africains qui vendent des Tours Eiffel, des jeunes rappeurs arabes agiles et gracieux. Dans les jardins, un manège. J’aime les manèges et leur bestiaire exotique. Ce manège du Trocadéro existe depuis l’exposition universelle de 1931. La propriétaire raconte « À cause de l’aquarium de l’exposition, les sujets étaient des poissons, c’était très ennuyeux pour les enfants. On l’a repris il y a 33 ans, on a changé, on a créé des sujets en bois peints à la main, bateaux, cygnes… On les a vendus à un antiquaire et depuis 13 ans les sujets sont inspirés de Disney, l’éléphant, Esmeralda… On a aussi un chameau. »

Un enfant monte dans une voiture, il n’a pas choisi l’éléphant.


Photos 1 et 2  : 8 mai 2009. Le manège du Trocadéro (coll. Part.).



Je reviens sur l’esplanade. Personne. J’attends. Des voitures, radio, télé. Les chibanis arrivent une dizaine de très vieux Marocains. Une jeune femme fait le lien avec les journalistes. Pas de rappeurs aux côtés de leurs grands-pères, ils ignorent derrière la barrière des touristes que des chibanis réclament leurs droits.

Le soir, au journal de Claire Chazal, les chibanis sont là, les mêmes. On a parlé d’eux à France Inter et à RFI.

 

Photos 3 et 4  : 8 mai 2009. Les chibanis du Trocadéro (coll. Part.).



13 mai

 

Je retrouve les photos de Fathia Toumi. Août 2008. Bou Saada. C’est, bien sûr Étienne Dinet le peintre amoureux des nomades, Isabelle Eberhardt à la Zaouïa (confrérie religieuse) d’El Hamel, Mohamed Kacimi le descendant de la puissante confrérie d’El Hamel… C’était le tourisme sexuel des années Gide, Pierre Louÿs et tous ceux qui n’ont pas écrit sur ces rencontres programmées avec de jeunes garçons ou des « filles soumises ». Un bordel Haouch-Lihoudi (la ferme du Juif) aurait servi de centre de torture (c’est le Net qui le dit).

Bou Saada, c’est aujourd’hui le regard de Fathia sur la ville goudronnée, enlaidie, les femmes au hijeb qui vont à l’école coranique avec leurs ardoises magiques. C’est l’école Lucien Challon fondée en 1856-1857, plusieurs élèves algériens, on les appelait « indigènes », sont devenus instituteurs normaliens formés à Bouzaréa, le premier en 1865. L’un d’eux, Aïssa Bisker (né en 1908 à Bou Saada) Bouzaréen lui aussi est directeur de l’école Challon de 1947 à 1957. Expulsé par l’autorité militaire pour soutien à la révolution (les élèves chantent « Min djebalina » le chant des partisans algériens lors de son arrestation), Aïssa Bisker est exilé en Tunisie jusqu’en 1962. Retour à Bou Saada où il est maire et où il fonde l’Institut islamique. Le site Internet souadbousaada-sabnet.blogspot.com a fourni les informations à Fatiha. Elle ne m’a pas dit, à son retour d’Algérie, ce qu’est devenu le fameux Café d’Alger fondé au début des années 50 à la place d’un café maure par un propriétaire algérien. IL est fermé en 2008. Sera-t-il détruit ? Un monument historique disparaîtrait. Lieu de rencontres hippiques, politiques, révolutionnaires, artistiques, on pouvait, au petit déjeuner, déguster des beignets chauds, des brioches et des figues fraîches…

À Bou Saada, une boutique de miel « Le Royaume des abeilles transhumantes » (coop El-Houda n° 20, Birtouta-Alger) « un produit algérien à 100 % ». Miels du jujubier, de chardons, d’orange, d’eucalyptus… remèdes miraculeux pour plus de soixante maladies, c’est le prospectus qui le dit. Crémerie avec La Vache qui rit on la voit partout depuis le Vietnam jusqu’à Bou Saada.

Et bien sûr l’école Lucien Challon que Fatiha a photographiée, tous les membres de sa famille sont allés à cette école, aujourd’hui l’école Sidi-Thameur. Et l’école coranique de la Zaouïa d’El Hamel où son père a appris à lire et à écrire l’arabe, il a été, je crois, maître coranique avant son exil en France, peut-être écrivain public ?

Fatiha avait joint aux photographies une coupure de presse du 17 août 2008, El Watan. Des ouvriers algériens travaillant dans une entreprise chinoise de travaux autoroutiers, ont fait grève pour protester contre les conditions de travail qu’elle leur impose. Les réclamations se soldent par un licenciement, un ouvrier gagne 100 euros par mois. Les bureaux de main-d’œuvre fournissent une main-d’œuvre bon marché, elle doit être docile… Un néocolonialisme à la chinoise, cautionné par le pouvoir en place qui signe les contrats avec les entreprises chinoises. La mondialisation invoquée ne justifie pas cette domination. L’Algérie a les moyens de préserver son indépendance économique, de favoriser la formation professionnelle pour encourager la création d’entreprises du bâtiment qui emploieraient une partie des 30 % de chômeurs algériens, de garantir un droit du travail qui respecte les ouvriers. Comment un état riche peut-il ainsi maltraiter ses citoyens ?


Photos de Fatiha Toumi (2008)

De gauche à droite:


Photo 1  : Bou Saada. El Hamel vers la Zaouïa.
Photo 2  : Bou Saada. Ecole Sidi Thameur (ex-Lucien Challon).
Photo 3  : Ecole Sidi Thameur.
Photo 4  : Ecole Sidi Thameur
Photo 5  : Ecole Sidi Thameur
Photo 6  : Ecole coranique de la Zaouïa.
Photo 7  : La Vache qui rit à Bou Saada
Photo 8  : Étiquette de bouteille de petit-lait en vente chez Simply à Lyon
(photo de Fatiha Toumi, mars 2009).

 

 

14 mai 2009

 

Le 14 mars, elles étaient assises sous l’affiche Our body, à corps ouvert, « exposition anatomique de vrais corps humains », aux pieds de l’homme chinois plastiné, deux femmes, l’une enveloppée dans une gandoura noire, hijeb noir couvrant ses cheveux, l’autre, sa fille, sans hijeb. Métro Michel-Ange Auteuil. Elles n’ont pas vu l’affiche ni le corps écorché, peau séchée d’après le procédé inventé par l’anatomiste allemand (1970-80) Gunther Von Hagens (il a présenté une exposition équivalente à Tokyo en 1995), mis en pratique par une fondation chinoise de Hong Kong et mis en spectacle par une société « Encore Events ». L’exposition a été vue par des centaines de milliers de spectateurs de tous âges à Lyon, Marseille, Paris. Refusée par les institutions scientifiques françaises, l’exposition a trouvé Espace 12 Madeleine, le 12 février 2009. Interdite le 21 avril par la Justice, l’exposition est suspendue. Les 17 corps chinois seraient issus d’un trafic de cadavres de prisonniers ou de condamnés à mort. C’est la commercialisation et la mise en spectacle des cadavres à des fins lucratives que condamne la justice française. Des cadavres peuvent être utilisés par la médecine dans un but pédagogique (a précisé la justice) (la médecine a avancé grâce à la dissection des cadavres pour comprendre le fonctionnement du corps humain, diagnostiquer la maladie et parfois la guérir).

La question de la marchandisation du corps humain (trafic des organes, utérus commercialisé des mères porteuses, toutes sortes de manipulations lucratives…) se pose aujourd’hui de plus en plus souvent. Des comités scientifiques d’éthique doivent impérativement réguler ces dérives. Cynisme des trafiquants, perversion du regard au nom de la pédagogie (les livres d’anatomie existent, ils ne sont pas réservés aux savants), esthétisme qui pourrait valider la jouissance du spectateur des corps suppliciés de la Shoah, des corps torturés des prisons dans le monde, jusqu’à Guantanamo, des exécutions publiques dans certains pays.

À ce rythme, le corps humain, l’être humain, n’aura plus qu’une valeur marchande. L’humain : naître, vivre et mourir, homme ou femme libres, sujets pensants et non objets aliénés, n’aura plus de raison d’être. On déplore la perte de sens, de valeur, de spiritualité (sans le poids des dogmes religieux) et on court à ces expositions de corps écorchés, plastinés sans se poser de questions. USA, Europe, Asie. Succès mondial. 35 millions de visiteurs. La Cour d’appel de Paris a confirmé, jeudi 30 avril, la fermeture de l’exposition.

Le journal Libération précise que Gunther Von Hagens présente à Berlin, depuis le 7 mai, des cadavres en train de baiser…

 

 

15 mai

 

Invitée à la médiathèque de Bourg-en-Bresse E. et R. Vailland, je découvre, grâce à Nicole Deborne l’église somptueuse du monastère de Brou fondée par Marguerite d’Autriche, les tombeaux de Marguerite et Philippe, le visage des gisants tourné l’un vers l’autre (une lumière bleue néon de boîte de nuit les éclaire, quel est le responsable de la culture qui a réussi à l’imposer ?). Je découvre aussi les tableaux de Jules Migonney que je n’avais vus qu’à l’image, La femme au narguilé et Le bain maure dont Paul, l’ami de Sidi Bel Abbès, m’avait envoyé une reproduction. Dans la réserve du musée de Brou, des dessins de nus, de hammam, des portraits de négresses de Jules Migonney, un tableau de femmes kabyles à la fontaine (des mères maghrébines voyant le tableau au musée avaient commenté le paysage, l’habit des femmes, les dessins des cruches avec volubilité, raconte la jeune conservatrice Magali Philip).

Jules Migonney, né en 1876 à Bourg-en-Bresse se suicide dans son atelier en 1929. Pensionnaire à la Villa Abd-el-Tif à Alger (Restaurée, la villa est à nouveau ouverte aux artistes invités), de 1909 à 1911, il retourne en Algérie en 1912 et 1923. Peintre orientaliste, ses toiles figurent à l’Exposition coloniale de 1931. Il a séjourné dans un village kabyle, Tamaroucht en 1910, partageant la vie des habitants comme les peintres Guillaumet et Dinet en Algérie. Il s’est intéressé à l’art islamique (en 1912 a lieu une grande exposition au Musée des Arts Décoratifs à Paris) Matisse à la même époque découvre l’art islamique, on en retrouve des éléments dans les tableaux de l’un et de l’autre.

Messaouda en odalisque nue avec bracelets, collier, turban et tatouages, figure sur plusieurs tableaux, Vénus mauresque¸ dessins et gravures sur bois. Son modèle, Messaouda (heureuse en arabe). Les bordels de la Casbah ont fourni peintres et photographes. Sur une photographie prise par Jules Migonney, on voit trois jeunes Arabes, 11, 12, 13 ans nues, debout, foulards, bracelets, deux d’entre elles regardent le photographe, elles ne sourient pas, à droite un tapis, à gauche un lit défait sur lequel est assise la plus jeune. On pense aux jeunes, très jeunes tunisiens et tunisiennes de Lehnert en Tunisie. Le tourisme sexuel pédophile pratiqué couramment par les Occidentaux, dans les pays du Maghreb et d’Orient, restitué par la littérature coloniale et la photographie, au nom de l’Art, ne posait aucun problème à personne. Les enfants dans les bordels, une tolérance dans les colonies.

Au Musée des Beaux-Arts d’Alger (ouvert ces mois derniers, comme le Jardin d’Essai, après des années de restauration) on peut voir : La Sieste, Vénus mauresque, Patio de la Villa Abd-el-Tif en particulier. Au Musée national d’art moderne, Centre G. Pompidou : Scène de Hammam et Le Bain maure.

Nicole Deborne, dans « la chambre des Dames » de la médiathèque nous montre un carnet de dessins « Feuilles d’album » du peintre et sculpteur Marcel Vicaire, né en 1893, il vit au Maroc de 1918 à 1958. Il met en place le projet du Maréchal Lyautey : préserver le patrimoine culturel, artisanal du Maroc (L’Algérie a vu une grande partie de son patrimoine local détruit avec les années de la conquête et la colonisation). En 1957, Marcel Vicaire inaugure le Musée du Costume au Maroc, il organise des expositions dans des galeries du Maghreb et d’Europe, et des concerts de musique andalouse dans sa villa Dar Agiyel à Fès, aujourd’hui conservatoire de musique.

Marcel Vicaire a écrit des Souvenirs du Maroc, ont-ils été publiés ? Comme ses Feuilles d’album, ils sommeillent dans les réserves de la médiathèque de Bourg-en-Bresse. « Les Amis de Marcel Vicaire » annonceront un jour une publication et une exposition via Internet ?

Nicole Deborne nous parle aussi d’un voyageur, Gabriel Monnier, à Constantinople (de 1784 à 1806) dont les carnets sont gardés dans les réserves de la médiathèque. J’en parlerai à Patrice Rötig, sa passion turque le mènera un jour vers ces réserves…

À Bourg-en-Bresse, ce 15 mai 2009, des rencontres fructueuses, des découvertes, une soirée de vive voix avec les lecteurs, les lectrices et les bibliothécaires et une cigogne au Monastère royal de Brou.

 

 

15 mai

 

Éliette Loup-Hadjerès, militante indépendantiste dont m’a parlé Henri Alleg, fille de Jeanne Loup propriétaire d’un domaine agricole en Algérie coloniale, m’envoie régulièrement les derniers timbres algériens. Je ne l’ai jamais rencontrée. Elle m’appelle ce matin pour me dire qu’elle a reçu Mon cher fils. Elle me dit aussi qu’elle ne veut plus écouter les nouvelles du monde, trop de catastrophes. Elle préfère la musique arabe de la Radio Behja, et entendre la langue arabe même si elle ne la comprend pas. Elle avait six cages de perruches, elle les a données.

 

 

27 mai

 

Au journal télévisé une partie du clip internet contre le viol. On parle de la campagne (les promoteurs sont contents) parce que Clara Morgane, 28 ans, aujourd’hui chanteuse, a été une star du porno… Pour faire du spectacle on aurait pu passer une scène porno avec Clara Morgazne, en direct, le nombre des internautes aurait augmenté en flèche. Le porno contre le viol… Quand on sait que nombre de garçons violent après avoir visionné des films pornos avec un adjuvant alcoolisé… Je me demande si Clara Morgane a vraiment été une star du porno. La chanteuse s’est peut-être prêtée à cette fable pour sa propre promotion avec un slogan louable contre le viol ?

 

 

Fin mai

 

Je poursuis, à travers bouquinistes, brocanteurs et puciers, la découverte des écrivains de la colonie. Les livres s’accumulent. Une littérature coloniale à la fois ethnographique et idéologique plus colonialiste dans les années 20-30 qu’au dix-neuvième siècle. Après Fromentin, lire Louis Bertrand, homme de lettres, académicien porteur des préjugés de sa classe et de son époque, c’est comprendre comment joue la propagande colonisatrice dans les années où se met en place un nouveau mouvement nationaliste algérien, annonciateur du 8 mai 1945 à Sétif et de l’insurrection de 1954 après la défaite militaire de la France en Indochine.

Je lis Nuits d’Alger de Louis Bertrand (ed. Flammarion, lithos de Suréda, 1939).

Tourisme obligé dans les quartiers de la prostitution où s’exprime « l’instinct primitif de l’Afrique » avec « sauvagerie mêlée de pompe barbare ». Prostitution cosmopolite, depuis la courtisane savante qui cite Madame de Sévigné jusqu’à la « Belle Fatma » pas si belle et plus si jeune, jusqu’à la « négresse affreuse, plâtrée, grasse, un vrai régal de tirailleur… » Nègres et négresses sont chaque fois repoussants de bestialité… Évocations de Pierre Loti et de ses Dames de la Casbah, de Étienne Dinet et ses Ouled-Naïl. Louis Bertrand remarque le « mépris profond des filles de l’Islam pour le roumi », lucidité fugitive. Au bal du Gouverneur il souligne aussi le mépris des Caïds en gants blancs (on les a obligés à porter ces gants, pour eux un objet de supplice) pour les femmes françaises décolletées, indécentes dans la danse.

Autre station inévitable, on quitte les nuits d’Alger, la rue Lalahoum, les noms exotiques des rues d’Alger : rue de la mer rouge, des pyramides, de la girafe, du palmier, de la grenade… pour la trappe de Staouëli, ferme modèle et monastère « colonie de défricheurs et d’ascètes » où le narrateur rencontre sans connaître son identité (il la découvre plus tard) le Père Charles de Foucault. Il ne rencontre pas la famille Borgeaud propriétaire du domaine depuis 1904, symbole d’une Algérie française et coloniale à travers la personne d’Henri Borgeaud (1895-1964).

À mon prochain voyage en Algérie, j’irai à Staouëli.

 

 

Dimanche 31 mai

 

Tenir un enfant petit contre soi, tout entier, léger et chaud, et savoir qu’il n’existerait pas sans une filiation particulière, la chaîne où on a une place, chaîne d’amour et de sang où il a désormais sa place, c’est si étrange et par là émouvant.

Je tenais ainsi Lucien Igor Suleïman. Pour l’éternité.

Sur TF1, ce soir, un film : Michou Dauber, de Thomas Gilou, 2007. Un sujet qui me touche, traité avec subtilité. Le trouble identitaire dans la guerre (la fin de la guerre d’Algérie 1960-62 dans un village du Berry) et dans l’exil (l’immigration algérienne, un père kabyle obligé de placer ses deux fils dans une famille d’accueil dont le plus jeune chez un couple sans enfant lui ancien militaire de la coloniale, elle femme au foyer qui a été amoureuse d’un Algérien se faisant passer pour un Italien, Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Fellag). L’enfant algérien et français né à Aubervilliers sera Michel d’Aubervilliers, « Michou Dauber ». Confronté au racisme quotidien de l’OAS au village contraint de mentir sur son identité (mais personne n’est dupe, ni le curé ni l’ancien adjudant, ni l’instituteur qui sera pour lui un « auxiliaire bienveillant »). Jusqu’à la fin de la guerre où il retrouve son père, Fellag, et découvre la mer avec le couple-famille d’accueil.

Une chronique sensible où la complexité des situations et des relations donne de l’épaisseur au propos sans complaisance ni machiavélisme. J’aimerais rencontrer un jour Thomas Gilou.

 

 

31 mai

 

Face à la ville-hôpital, la Salpêtrière, où j’étais allée voir Nancy Huston, l’amie d’Histoires d’Elles, Sorcières, Lettres parisiennes, Recluses et Vagabondes, Une enfance d’ailleurs, puis nos voies d’écriture ne se sont plus croisées, des voies parallèles mais fidèles, Nancy s’était trouvée soudain paralysée, les deux jambes inertes plantées dans le sol, peut-être, dès lors s’est-elle sentie enracinée dans la fiction et la France ? Nancy a repris ses jambes, ses jambes l’ont portée à nouveau, mobile, voyageuse… Donc face à la Salpêtrière, boulevard de l’Hôpital où on a planté les micocouliers de mon enfance, je bois un café au comptoir de la brasserie Le vrai Saint-Marcel, le boulevard Saint-Marcel n’est pas loin.

Passe un vieil homme antillais, il crie et répète avec un accent créole « Oui… Là, encore là… toujours là… oui là… ». Le patron qui ressemble à Fabrice Lucchini dit « Il aurait dû être dans l’avion qui a disparu hier au large de l’Afrique, celui-là… On l’entendrait plus. »

 



Actualisation : juillet 2009