Leïla Sebbar
Les palmiers déracinés. La grève du lait. Berlin, un casque pour Lucien Igor Suleïman. Le café-tabac de la famille chinoise. Publicités Orangina. Sidi-Ferruch, Alain Souchon, Albert Bensoussan. Littérature et graffitis.
Le 23 septembre, au jardin du Luxembourg à Paris, j’assiste au transfert de trois palmiers centenaires originaires des jardins de Versailles. Ils vivront dans un jardin botanique du Maine et Loire au nord d’Angers. Ces photographies racontent un épisode du voyage des trois palmiers. J’aurais aimé les suivre dans le camion rouge jusqu’à leur dernière demeure. (Photos 1 à 4)
Sur un mur, rue de la Santé, un tract des producteurs de lait en colère. Ils demandent que leur travail soit payé à sa juste valeur. On voit un paysan traire une vache, le slogan « Ne nous laissons plus traire ».
À Berlin où je suis invitée au Festival international de littérature, avec Nawal (elle s’appelle aussi Shéhérazade et sa sœur Aziyadé et Douniazade…), une jeune lectrice qui vit à Berlin où elle est née, d’un père algérien et d’une mère allemande professeur de français, on marche dans Berlin côté turc et côté Est. Des marchands ambulants tamouls ou pakistanais vendent des objets de l’ancienne RDA. J’achète un casque de pilote soviétique (étoile rouge obligée, faucille et marteau dorés) en toile kaki avec des bourrelets rembourrés solides. C’est Lucien Igor Suleïman qui le met à Paris, il ne le quitte pas de l’après-midi…
Les cafés-tabac Loto PMU Journaux sont rachetés par les Chinois. Les patrons auvergnats aveyronnais partent à la retraite, les enfants ne reprennent pas le commerce, trop de travail. Quai Kennedy sur le chemin de la Maison de la Radio, le bar-tabac a changé de propriétaire plusieurs fois. Aujourd’hui c’est une famille chinoise, père, mère, fils, filles qui a repris l’affaire. Le patron salue les clients du bar « Salut cousin », les clients répondent « Bonjour chef » Près du percolateur on peut lire sur une ardoise, le texte suivant écrit à la craie blanche :
C’est la première fois que je lis un tel texte dans un café. Une plaisanterie ? De l’humour chinois ? Si j’y retourne je poserai la question au patron. Les publicités Orangina prolifèrent. Orangina « Naturellement pulpeuse ». On associe la nature à la femme, femme sexy qui habille en femme une pie, une biche, un zèbre… À la télévision, pub Orangina, une girafe habillée en pin-up poursuit un homme dans la foule, renifle son cul, le prend et le jette sur son épaule… Un enlèvement. Jusqu’au cactus, bustier rouge, jambes nues, piquante, provocante, talons aiguilles, c’est un dessous de bière. Orangina sévit ainsi depuis plus d’un an. Sexualisant bêtes et plantes. Orangina c’était Boufarik près de Blida, les oranges de la Mitidja et la première boisson avec la bière, des soldats de la guerre d’Algérie… Une publicité en leur mémoire ?
J’entends Alain Souchon à la radio. Sa chanson, paroles en français et en arabe. Il dit « J’étais chanteur à “Sidi-Ferrouch” » la prononciation algérienne de Sidi-Ferruch ? dont Albert Bensoussan écrit dans Sidi-Ferruch l’engloutie « Je vous parle d’une plage tournée et d’un pays disparu » (Mémoire plurielle, n° 60, septembre 2009, directrice Jeanine de la Hogue). « Aujourd’hui, Sidi-Ferruch a laissé place à une autre plage, Sidi Fredj. »
Mon ami Paul Chagny de Sidi-Bel-Abbès, aujourd’hui dans « son village d’adoption » de l’Ain, Montagnat, m’écrit, après la lecture de Voyages en Algéries autour de ma chambre : « J’ai été surpris que personne ne parle de René Justrabo, maire communiste de Sidi-Bel-Abbès. Professeur de français au collège Leclerc ; il a fait un an de prison pour avoir exprimé, lors d’une réception en l’honneur des jeunes appelés de la ville qui partaient combattre, son scepticisme sur l’opportunité de cette guerre. Il a été démis de ses fonctions par le préfet d’Oran… En 1962, ils ont tenté avec sa femme l’expérience de l’Algérie algérienne (un an, je crois) et ont regagné Dijon avec des regrets. » Je demanderai à Jean-Claude Gueneau, l’appelé d’Aflou que j’ai rencontré à Dijon, s’il connaît René Justrabo. Par Jean-Claude Gueneau j’ai fait connaissance, à distance, d’un condisciple de mon père à l’école de Bouzaréa. J’en reparlerai.
Depuis les rencontres littéraires organisées par Le Monde des livres en face de chez moi jusqu’à la fondation Cartier qui expose des tags et des graffitis. D’un public à l’autre. D’une génération à l’autre. Impressionnante, la queue des trentenaires devant la Fondation Cartier boulevard Raspail…
Avec Ida Kummer, une Française qui vit aux USA, universitaire et directrice de revue, on parlait du président Obama. Les espoirs qu’il suscite aux USA, dans le monde. Je lui disais mon scepticisme. Quelques mois plus tard Obama ne réussit pas à imposer son programme de santé pour tous, l’arrêt de la colonisation par Israël de la Cisjordanie, la fin de la guerre en Afghanistan, les troupes d’Irak viennent renforcer le dispositif militaire en Afghanistan… Quelques protestations en ce mois d’octobre de la société civile américaine.
Suite de la série photographies de nus anonymes pour la bonne cause. Greenpeace a payé 50 000 euros un photographe américain qui a réussi à enrôler des centaines de volontaires qu’il a fait poser nus hommes et femmes, dans les vignes de Pouilly-Fuissé. Pour quelle campagne de Greenpeace ? On retient le geste, pas la finalité. Je n’ai pas vu la feuille de vigne d’Adam et Ève comme sur les tableaux de Cranach.
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Actualisation : octobre 2009 |