Roswitha Geyss, Autriche
Interview avec Leïla Sebbar, le 16 mai 2005

Le 16 mai 2005 à 15 heures, Leïla Sebbar m’a accueillie chez elle pour une interview. À part l’occasion exceptionnelle de rencontrer une écrivaine de l’envergure de Leïla Sebbar dont les textes ne témoignent pas seulement d’un grand talent littéraire, mais qui est aussi très engagée dans les questions de société (sa participation au recueil de nouvelles Des Filles et des garçons (2003) en fait preuve, puisque les droits d’auteurs sont versés au mouvement « Ni putes ni soumises »), j’avais surtout la possibilité, assise à sa table de travail, de lui poser dans une atmosphère ouverte toutes les questions qui me venaient à l’esprit. Leïla Sebbar s’est montrée très intéressée par mon travail et par ma personne et a pris tout le temps nécessaire pour répondre à mes questions. Somme toute, l’interview a duré environ 90 minutes. J’aimerais saisir cette occasion pour la remercier encore une fois de l’intérêt qu’elle apportait à mon travail et de sa patience.

Explications concernant la transcription ci-jointe :

  • La transcription commence avec la première question que j’ai posée à l’auteure.
  • Pour assurer la précision des citations que j’ai parfois raccourcies ou résumées au cours de l’entretien pour ne pas me perdre dans la lecture d’extraits de textes, mais pour maintenir le contact avec l’auteure, j’ai décidé d’ajouter ici les citations correctes dans leur intégralité en bas de page.
  • Les mots soulignés indiquent que le locuteur a insisté sur ce mot ou sur cette partie de la phrase, ce qui est, en général, important de savoir pour mieux suivre l’argumentation.
  • Les remarques « (pause) » ou « (longue pause) » signifient que le dialogue a été interrompu pour un certain temps qui va de quelques secondes à quelques minutes.
  • Les trois points de suspension « (...) » indiquent qu’une partie du texte a été omise dans la transcription. Néanmoins, cela ne concerne jamais les parties majeures et il ne s’agit surtout pas de modifications visant à falsifier le résultat de l’entretien. En général, il s’agit d’explétifs, d’hésitations, de débuts de phrases qui sont restées inachevées ou que le locuteur a tout de suite corrigées etc., et que j’ai omis pour rendre la lecture de cette transcription un peu plus cohérente.
  • L’interview se termine avec la dernière question que j’ai posée à l’auteure. L’entretien qui a suivi et qui a porté sur ma personne et mes études ne fait pas partie de la transcription.

 

Transcription de l'interview  

Roswitha Geyss : Tout d’abord, j’aimerais parler avec vous de l’aspect autobiographique dans votre œuvre.

Leïla Sebbar : Il y a des textes qui sont des textes autobiographiques. Et en général, ce sont des textes que j’ai publiés dans des recueils de nouvelles, par exemple (...) dans des recueils de récits d’enfance. Donc, il y a un récit d’enfance dans Une Enfance algérienne, je ne sais pas si vous l’avez lu...

RG : Oui, « On tue des instituteurs ».

LS : Voilà, c’est ça. Dans Une Enfance d’ailleurs aussi, qui est dans la collection de poche « J’ai lu », et dans Une Enfance outremer aussi... un récit d’enfance. Vous l’avez lu ?

RG : Non, pas encore.

LS : C’est au « Point Seuil ». Il existe au « Point Seuil ». (...) Donc, ce sont des récits d’enfance dans ces cas-là, et ce sont des récits autobiographiques – enfin, qu’on peut définir comme « autobiographiques ». Et il y en a un, principalement, qui s’intitule Je ne parle pas la langue de mon père qui est aussi un récit autobiographique avec une part de fiction à certains moments. Donc, et puis, j’ai publié des textes dans des revues diverses qu’on considère comme des textes autobiographiques.

RG : Je pense que le carnet de voyages Mes Algéries en France est aussi en grande partie un texte autobiographique.

LS : Oui, bien sûr.

RG : Dans ce contexte, ce qui m’intéresserait, ce serait de savoir ce que représente pour vous l’image dans cette quête de l’Algérie... parce que normalement, vous êtes écrivaine, mais là, vous vous servez aussi de photographies, de cartes postales etc. Et cela élargit à mes yeux un peu cette dimension de l’écriture de ce regard sur l’ « autre ». Donc... qu’est-ce que l’image représente pour vous ?

LS : J’ai écrit des textes, des nouvelles où la photographie a une place importante, mais il n’y a pas d’iconographie. La photographie fait partie du sujet romanesque. Et en général, ce sont des photographies de guerre autour desquelles s’organise le récit. Donc, il y a des nouvelles... dans La Jeune fille au balcon, il y a une nouvelle qui s’intitule « La photo d’identité »...

RG : Oui, « La photo d’identité »...

LS : Dans Le Chinois vert d’Afrique - je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de le lire... c’est un roman que j’ai publié il y a une vingtaine d’années – et là aussi joue la photographie un rôle important pour les personnages. Dans les Shérazades aussi, la photographie est importante, et je crois que la présence de la photographie qui est en général une photographie de la guerre, dans ces textes romanesques, dans ces fictions, fait parti de la narration, enfin du récit romanesque. Alors que dans Mes Algéries en France et le Journal de mes Algéries en France que je viens de publier suivant le même principe, l’iconographie est là pour dire ce que le texte ne peut pas dire. Donc, la photographie raconte aussi une histoire en liaison avec le texte. Dans Mes Algéries en France, il y a un mélange des genres littéraires puisque… il y a des lettres, il y a des fictions, il y a des récits autobiographiques, il y a des entretiens, il y a des portraits... Dans le Journal, c’est le principe du journal, c’est-à-dire que c’est chronologique, je parle à la première personne, et les images sont aussi présentes, comme dans Mes Algéries en France.

RG : Votre rapport à la photographie est toujours un rapport double... On a cette impression, parce que d’une part, dans le récit « Mes sœurs étrangères », vous êtes fascinée par ces anciennes photographies de femmes algériennes qu’on a prises pendant la guerre. Vous dites même que vous vous constituez une sorte de « mémoire d’emprunt » et « artificielle ». Mais d’autre part, vous dénoncez aussi – toujours – la violence de ces photographies ; par exemple dans la nouvelle « La fille avec la photographie » dans Sept filles, vous dénoncez vraiment, vraiment cette violence.

LS : Je dénonce pas forcement, c’est-à-dire que je n’interviens pas dans la fiction. Je ne parle pas en faisant une dénonciation caractérisée, mais je fais état. Je fais état de la violence.

RG : Oui.

Dans la trilogie de Shérazade, vous dites aussi que la photographie rend d’une certaine façon « superflu » l’être vivant, parce que Shérazade, à un certain moment, déchire toutes les photographies et dit « Ainsi, tu n’as plus besoin de moi vivante... »1. Mais en même temps, on a l’impression qu’un certain « jeu » avec la photographie s’établit dans le récit, parce que Shérazade, enfin, accepte d’être photographiée par ce...

LS : Julien ?

RG : Non, pas par Julien. Par Lam. Donc, elle accepte, et de plus, quand elle est libérée des geôles, elle joue cette scène plusieurs fois, bien qu’elle sache naturellement qu’elle se trouve dans un terrain vraiment très dangereux.

LS : Oui. C’est dans J.H. cherche âme-sœur, non ?

RG : Non, c’est dans Le Fou de Shérazade.

LS : Dans Le Fou de Shérazade, oui.

RG : Oui... donc, c’est un rapport très ambivalent.

LS : Oui, bien sûr, bien sûr, c’est ambivalent, parce que dans certains récits, dans certains textes, la photographie est un objet fétiche – dans Le Chinois vert d’Afrique, c’est un objet fétiche, dans « La photo d’identité », c’est aussi un objet fétiche. Et ce fétichisme, d’une certaine manière, se retourne parfois contre le personnage. Donc, très souvent, je me suis rendue compte comme ça, à revoir un petit peu tout ça, que le... Aussi dans... comment elle s’appelle, cette nouvelle sur le Cambodge... C’était dans quel recueil... Elle s’appelle « La cause du peuple ». Dans quel recueil est-elle, « La cause du peuple » ? C’est dans La Jeune fille au balcon, je crois, non ?

RG : Non. (...)

LS : En tout cas, dans cette nouvelle qui s’appelle « La cause du peuple », il y a aussi des photographies de guerre que prend un jeune homme qui est obligé de les prendre, et à un moment donné, la photo qui représente une souffrance... une souffrance de guerre est détruite par le jeune homme. Au cours d’une exposition, comme ça, il tague les photos qu’il voit dans la galerie. Et souvent, les photos sont aussi déchirées en plusieurs morceaux... brûlées... Et parce que vous dites « de l’ambivalence », c’est ça : à la fois, la photographie est un élément important de la mémoire et de l’Histoire, et en même temps, elle est un objet dangereux.

RG : Et violent aussi.

LS : Et violent, oui. Donc, on se bat contre l’image en la détruisant.

RG : Oui. Vous dites aussi, à un certain moment, que la photographie introduit une certaine distance entre l’être vivant et l’être photographié ou filmé. Ainsi, par exemple, quand Shérazade est enregistrée pour la première fois pour le film, elle a l’impression que ce n’est plus elle. Et aussi... oui, et aussi ce signalement de disparition... Vous introduisez un peu une opposition, parce que tout d’abord, il y a le signalement qui est un texte assez froid, qui ne dit rien sur Shérazade, qui ne dit rien sur son âme, sur ses préférences et tout ça. Mais d’autre part, il y a le récit de la jeune bibliothécaire qui parle vraiment chaleureusement de la fille, qui dit « Oui, c’est elle qui s’intéresse à tous ces livres, et c’est grâce à elle que les Français commencent à s’intéresser à cette littérature... ». C’est un moment où on voit vraiment très bien cette opposition, on peut dire, entre cet être vivant qui ne peut pas être limité à un signalement, à une description physique ou à une photographie, ou à un film, et cette image, cette image qui est un peu « détachée ».

LS : Oui, vous le dites bien. (rires)

RG :J’espère. (rires) Ce qui est aussi intéressant, c’est que dans le récit « Mes sœurs étrangères », cette image est aussi liée à la dimension de la voix. Vous dites que c’est à ce moment, où vous avez découvert que ces femmes ne sont pas des prostituées déguisées, mais vraiment des femmes algériennes en chair et en os, que vous les entendez. C’est donc à ce moment-là que la voix est libérée. Est-ce qu’on pourrait dire ça ? Que cette prise en compte qu’il s’agit vraiment de femmes vivantes a finalement libéré leur voix ?

LS : Oui. Elles ne se réduisent pas à des images de papier. Et effectivement... je veux dire qu’enfin, moi, j’ai toujours envie d’aller au-delà de la matière, du papier et d’aller à l’intimité de la personne. C’est ça.

RG : Et donc c’est la voix qui vous permet de toucher vraiment la personne.

LS : Oui.

RG : J’ai l’impression que les sentiments qui vous lient à ces femmes algériennes – par exemple à Noria Boukhobza que vous citez, et les autres – sont aussi un peu ambivalents, parce que vous les appelez « Mes sœurs étrangères ». Et c’est un terme qui me plaît vraiment beaucoup, parce que d’une part, cela entraîne la familiarité, mais d’autre part aussi la distance. C’est un rapport assez complexe. Vous vous décrivez aussi une fois comme « l’étrangère de la famille ». Je pense que cela est certainement dû à votre biographie...

LS : Oui, c’est ça, oui...

RG :... et au fait que vous avez été coupée des femmes de la tribu de votre père.

LS : Mon père n’appartenait pas à une tribu. Tous les Algériens n’appartiennent pas à des tribus.

RG : Oui... Pardon... Je crois que j’ai confondu deux choses.

LS : Oui. ... C’est la séparation... enfin pour dire ces... effectivement, pour dire le... la permanence des images dans ce que j’écris. Je crois que, symboliquement, ça marque cette séparation. Et tout le travail que je fais à travers les fictions, les réflexions etc., c’est justement ce rapport à ce qui sépare, et ce rapport à ce qu’on peut appeler « l’altérité », à ce qui est étranger. Et je pense que c’est en relation avec l’Histoire coloniale de l’Algérie... Et le fait que je suis, moi, un produit de cette division entre l’Algérie et la France par mon père algérien et ma mère française. C’est ça... Quand je dis « mes sœurs étrangères », c’est ça.

RG : Mais il y a des choses que je ne comprends pas vraiment. Tout d’abord, vers la fin du récit Je ne parle pas la langue de mon père, vous dites « Je n’apprendrai pas la langue de mon père. »2. Il est certainement vrai qu’il existe cette barrière linguistique, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi vous refusez la possibilité d’apprendre l’arabe maintenant.

LS : Oui. Parce que ce que j’ai compris, en écrivant ce que j’écris, et dans... – j’en parle un peu dans un livre qui s’intitule Lettres parisiennes ; c’est un échange de lettres sur l’exil avec Nancy Huston – ce que j’ai compris c’est que j’ai écrit – et j’ai besoin d’écrire de la fiction, et donc de faire un travail d’écrivain – parce que je n’ai pas appris la langue de mon père... parce que l’arabe a été une langue absente... et parce que j’ai été séparée de la langue arabe, la langue de l’Algérie, la langue de la civilisation arabo-musulmane. Et quand j’ai dit que je ne l’apprendrais pas, je veux dire que cette langue a une existence très forte parce que je ne la connais pas. Elle a une existence, une présence à travers sa propre voix. La voix de cette langue qui est une langue étrangère pour moi et une belle langue, et si je l’apprenais, elle deviendrait un outil de communication, et elle perdrait cette force de langue sacrée.

RG : Mais vous refusez aussi la possibilité de vous faire traduire les récits.

LS : Non, je n’ai jamais dit ça.

RG : Mais si.

LS : Ah, bon ?

RG : Vous avez écrit : « J’aurais pu (...) m’asseoir contre le mur chaulé, là où chantent les colombes de la vieille tante, et écouter les contes traduits par un ami. Mais il n’y a pas eu d’ami pour transmettre parce que le père lui-même n’a rien transmis. »3

LS : Oui. Ça, c’est pas un refus. C’est un constat. C’est un constat, c’est pas un refus. C’est pas un refus. Qu’on me traduise des contes arabes, si quelqu’un me les avait traduits, j’aurais pas dit non.

RG : Mais ce n’aurait pas été la même chose que si on vous avait raconté ces légendes dans votre enfance.

LS : Bien sûr, bien sûr.

RG : Et c’est donc ça, cette distance.

LS : Oui.

RG : Vous avez déjà dit que dans le récit autobiographique Je ne parle pas la langue de mon père, vous recourez aussi à la fiction à certains moments. Par exemple, vous tissez toute une histoire fictive autour des deux bonnes, Aïsha et Fatima, qui ont travaillé dans la maison d’école, mais vous remettez aussi constamment en question cette fiction. J’ai cette impression, parce que vers la fin, vous dites, par exemple : « Il n’a pas parlé la langue de sa mère avec le fils de Fatima. Il ne l’a jamais rencontré à la prison (...). »4 Mais aussi pendant le récit, il y a plusieurs passages où vous la remettez en question. Donc... que représente pour vous la fiction dans ce récit autobiographique ? Est-ce pour vous une possibilité de créer un passé possible ? Qui est aussi « vrai », mais qui n’a pas existé, mais qui aurait pu être comme ça ?

LS : Oui, oui, puisque... je veux dire que dans l’Histoire coloniale et dans mon histoire en Algérie, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans, où j’ai vécu la guerre, il y a tellement de blanc... de blanc, je veux dire, des choses non-dites, que je n’aurai jamais sues et que je ne saurai jamais, que j’ai besoin d’écrire sur ce blanc-là. C’est ça, le rôle de la fiction dans ce récit autobiographique. C’est-à-dire que ce que j’imagine aurait pu arriver ; je ne saurai jamais si j’ai raison. Mais c’est pour ça, cette nécessité d’inventer.

RG : Ce qui est vraiment très présent dans toute votre œuvre autobiographique, c’est l’image du père. Vous vous approchez du père d’une part à travers les femmes qui l’ont entouré, à travers la grand-mère que vous évoquez aussi dans Je ne parle pas la langue de mon père, à travers ses sœurs – surtout les sœurs – et aussi à travers l’image de l’élève studieux qui est admiré par ses sœurs et qui est soutenu par ses sœurs. Est-ce que votre père a parlé avec vous de sa formation à l’école coranique et de son enfance ?

LS : Il m’en a peu parlé, peu.

RG : Mais il a parlé.

LS : Mais il a parlé, oui. Il a parlé. Pour dire ce que je dis concernant l’école coranique, concernant ses sœurs... c’est peu de choses, mais c’est ce que mon père m’a dit. Et il m’a dit peu de choses. Donc j’ai besoin d’inventer. J’ai besoin d’inventer. J’invente contre le silence.

RG : Oui. Le dialogue avec votre père commence seulement en 2003 avec ce récit...

LS : Alors, il faut faire attention, parce que mon père n’était pas un homme mutique, il n’était pas un homme qui ne parlait jamais. J’ai toujours parlé avec mon père. Mon frère, mes sœurs aussi ont toujours parlé avec mon père. Mon père n’est pas un homme qui est absent tout le temps – non. Mon père était très présent dans la maison, dans la vie quotidienne, dans les discussions... Et on avait beaucoup de discussions sur des sujets contemporains. Mais quand je parle du silence, c’est le silence sur sa propre histoire, sur l’Histoire de son peuple. Et quand je dis « Mon père n’a pas parlé, mon père n’a pas parlé... », c’est ça. Il m’a parlé non plus de la guerre.

RG : Peut-être pour protéger...

LS : Oui.

RG : En tout cas, entre la mort de votre père et la publication du récit Je ne parle pas la langue de mon père, il y a six années de silence. Vous avez eu besoin de ce silence pour... pour... je ne sais pas... pour...

LS : Il n’y a pas six années de silence parce que j’ai publié d’autres livres.

RG : Oui, mais...

LS : Mais ce livre, je ne pouvais pas l’écrire. De toute façon, je ne l’aurais pas écrit du vivant de mon père. Et j’avais besoin, probablement, de quelques années de réflexion et de prise de conscience aussi pour l’écrire. Et d’une certaine manière, c’est un livre qui fait suite – enfin, pas directement, mais si on y pense – à un autre livre que j’ai écrit du vivant de mon père et dont je sais que mon père le lisait, et il le relisait même pendant sa maladie, et c’est un livre qui s’appelle Le Silence des rives. Il est épuisé, il n’est pas facile à trouver, on peut le trouver dans les bibliothèques. Mais, enfin, pour moi, c’est tout un livre, Le Silence des rives, qui a un rapport très, très fort à mon père et à la mort. (longue pause)

RG : Et vous l’avez publié quand ?

LS : Je l’ai publié... il y a au moins dix ans, en quatre-vingt treize, je pense.

(Longue pause)

RG : Oui... J’aimerais parler de l’image de votre mère. Votre mère a aussi travaillé comme institutrice de français en Algérie, mais elle n’a jamais appris l’arabe, sauf les noms de ses élèves. Avait-elle des contacts avec des Algériens, des Algériennes, en dehors de sa classe ou pas ?

LS : En dehors de sa classe... je pense qu’elle avait des contacts à travers les amis, leurs amis. Ce sont des amis qui... Elle n’avait pas de contacts, elle n’allait pas... elle n’était pas ni sage-femme, ni infirmière... Elle n’avait pas de ce métier qui permet d’aller dans les maisons arabes dans le quartier arabe où on habitait, comme la mère de Julien dans Shérazade. Dans Shérazade, la mère de Julien fait ce travail-là. Ma mère, non. C’est vrai que – une fois sortie de sa classe – elle n’avait pas de contacts directs avec la population du quartier. Mais leurs amis, les amis de mes parents, qui étaient presque toujours instituteurs (elle rit), parmi eux, il y avait des Algériens.

RG : C’est donc cette société coloniale, cette société presque d’Apartheid, je dirais, qui se reflète...

LS : Non, d’Apartheid non, d’Apartheid non.

RG : Pas dans votre cas, mais en général, où les deux mondes sont strictement écartés, éloignés l’un de l’autre.

LS : Non, il y a une juxtaposition, mais je ne crois pas qu’on puisse parler d’Apartheid, parce que l’Apartheid, c’est un système très particulier qui n’est pas le système de l’Algérie à ce moment-là...

RG : Oui, je veux seulement comparer les deux systèmes en ce qui concerne la violence... cette violence et ce mépris à l’égard des indigènes – surtout le mépris.

LS : Oui, oui, les deux étaient assez largement répandus, c’est vrai. Mais il y avait, par exemple, des enfants... des enfants musulmans qui allaient à l’école comme les autres enfants. On ne disait pas... on ne disait pas « L’école est interdit aux enfants musulmans »... l’école française, non. Et les postes dans l’administration n’étaient pas non plus interdits. Il n’y avait pas les interdits qui sont les interdits de l’Apartheid, même s’il y avait des inégalités, bien sûr.

RG : Oui. (Pause) Dans le récit Je ne parle pas la langue de mon père, vous parlez aussi très ouvertement de vos souffrances, je dirais presque, à cause des insultes des garçons arabes qui vous ont injuriées, vous et vos sœurs, sur le chemin d’école, tous les jours, à cause de votre tenue vestimentaire qui était vraiment celle d’une petite Française et qui se distinguait de la manière dont s’habillaient les filles musulmanes. Pourquoi n’avez-vous jamais parlé de ces insultes avec vos parents ? Parce que j’imagine qu’un enfant a besoin de la protection de ses parents et parle plutôt...

LS : Oui, c’est vrai, c’est une question qu’on peut se poser. Pourquoi on n’en a pas parlé ? Parce que... Si les agressions avaient été des agressions physiques, je pense qu’on en aurait parlé et que mes parents auraient su. Mais ces agressions n’étaient que des agressions verbales, gestuelles, toujours de loin, jamais de près. Donc, je pense qu’on ne voulait pas mettre en cause la sécurité de nos parents... (pause) Je ne sais pas.

(...)

Je n’ai jamais eu des reproches à faire à mes parents, jamais. (Pause) Justement, à propos de ce passage-là, des garçons, dont je parle assez souvent dans un certain nombre de textes, donc c’est une variation là sur cette scène comme espèce de scène primitive, je reprends ça, cet épisode, dans une nouvelle, ici5, dans ce recueil qui est récent, c’est un recueil collectif, dans une nouvelle qui s’intitule « Les trois sœurs et les filles des cités ». Enfin, vous le verrez. Et j’imagine que l’un des garçons qui est perturbé par ces petites filles françaises, « bizarres », est le père d’un enfant dans l’immigration dans une cité de banlieue.

RG : C’est justement ce dont je voulais aussi parler avec vous : de l’immigration et de la situation des immigrés et des Beurs, des Beurettes, ici en France. Dans votre œuvre, vous décrivez souvent la situation des immigrés ici en France, et aussi des Beurs et des Beurettes, vous parlez souvent des banlieues parisiennes, des cités, du béton, et aussi de la pauvreté, de l’illettrisme...

LS : Non, je n’écris pas sur l’immigration. Je n’écris pas sur l’immigration. Il y a une présence d’enfants d’immigrés et d’immigrés dans ce que j’écris, mais jamais une présence d’immigré en tant que telle. Ce sont toujours des personnages qui sont en croisement avec la France, avec ce que représente la France : des Français, des livres français ou des films français, enfin, bon. Comment dire... Je parle toujours de... Je n’en parle pas pour eux-mêmes et pour dénoncer la situation. C’est pas mon projet. C’est pas ça. Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui se passe dans la rencontre – qui est une rencontre problématique, difficile – entre des hommes et des femmes en exil qu’on appelle des « immigrés » et leurs enfants nés sur le sol français, et la population française qui vit en France et qu’ils rencontrent forcement dans leur vie quotidienne. Donc, moi, c’est ça qui m’intéresse, la rencontre, la manière dont se passent ces rencontres, les conséquences de ces rencontres. Dans Shérazade, c’est ça : pour dire Shérazade, moi, je ne parle pas de l’immigration dans Shérazade ; s’il est question de la situation d’immigration, c’est la situation de l’exil et des touches qui se passent quand on est enfant d’exilé ou en exil soi-même. Non, ce n’est pas une dénonciation de l’immigration. (...)

RG : Oui. J’aimerais parler avec vous un peu de ce terme « traversière » dont vous vous servez pour décrire les jeunes Beurettes...

LS : Justement, justement, c’est exactement le terme qui me convient. « Traversière », ça veut dire : elle va de l’un à l’autre et elle est entre deux espaces étrangers l’un à l’autre. Et la fugue – par exemple pour Shérazade, pour Le Chinois vert d’Afrique, pour plusieurs personnages comme ça, c’est cet espace de conquête entre la maison maternelle et la maison de France. C’est là où est le chemin de traverse de cet espace qu’ils se construisent par eux-mêmes. Donc, c’est l’espace de ce carrefour, de ce croisement... de tout ce qui se passe là.

RG : Oui, c’est une sorte de « no man’s land »...

LS : Oui, c’est ça. Voilà. On quitte la cité, mais on n’est pas encore au cœur de la France.

RG : C’est là où se construisent les identités des jeunes Beurettes.

LS : Oui, c’est ça. C’est ça. Donc, c’est pas du tout une dénonciation de l’immigration et de la situation des immigrés, etc.

(Pause)

RG : Vous êtes donc intéressée par ce croisement des cultures.

LS : Oui, parce que moi je suis là aussi.

RG :Et donc, comme vous êtes une femme qui est aussi très engagée dans les questions d’actualité, j’aimerais savoir quel est votre point de vue sur la situation des Beurs maintenant, surtout en ce qui concerne tout ce débat autour du foulard islamique. C’est une question très vaste, je sais, mais...

LS : Oui. Enfin, moi, je ne la traite pas dans mes fictions.

RG : Oui, je sais.

LS : Il y a des jeunes filles qui portent le hidjeb, il y a toutes sortes de jeunes filles dans Sept filles que vous avez peut-être lu.

RG : Oui.

LS : Ce sont des nouvelles dans lesquelles il y en a certaines qui portent le hidjeb. Mais je ne prends pas position. (...) Non, je ne prends pas position dans mes fictions, je ne prends pas position, je n’interviens pas, c’est pas... c’est-à-dire c’est pas un travail d’idéologue. Comme citoyenne je peux prendre position. C’est différent. On peut dire que je prends position comme citoyenne, une position politique, que je ne traduis pas dans mes fictions.

RG : Oui, je sais, et c’est justement pour cela que je vous pose cette question, parce que dans vos nouvelles, quelqu’un qui n’a jamais lu une de vos nouvelles pense peut-être que c’est là l’enjeu quand vous parlez des Beurettes, parce que tout le monde parle maintenant du foulard. Mais vous ne prenez jamais position...

LS : Dans mes fictions, non.

RG : ... dans vos fictions. Mais je pense que cette attitude est un peu contradictoire : vous vivez ici en France où tout le monde parle de ce problème, et je pense que vous êtes vraiment très engagée dans les questions des Beurs, et vous êtes peut-être aussi plus sensible que quelqu’un d’autre parce que vous écrivez, parce que votre père était Algérien, parce que vous avez vécu en Algérie... Vous ne voulez donc pas prendre position ?

LS : Non, pas dans mes fictions, dans mes fictions je ne prends pas position...

RG : Mais...

LS : Mais si, j’ai pris position, si, si, j’ai pris position dans des articles de presse. Oui, j’ai pris position. J’ai pris position... Lors de la première affaire du foulard en 1989, j’ai publié un article dans Le Monde où je disais que l’école républicaine et laïque devait avoir les moyens et la force d’accepter les jeunes filles avec un foulard islamique. Vingt ans plus tard, ma position a changé. Vingt ans plus tard, il s’est passé un certain nombre de choses, l’Histoire a changé aussi, il y a eu tout ce qu’on sait de l’actualité politique, tout ce qui s’est passé en Algérie pendant dix ans – de l’islamisme et de ses armées, des guerres civiles. Et d’une certaine manière, tout cela a rejailli sur la France et sur les jeunes filles en France. Et le fait que le Parti communiste se soit affaibli, que les syndicats soient affaiblis aussi, que donc, pour un certain nombre d’enfants de ces générations aujourd’hui, il n’y a plus de possibilité d’avoir une conscience et une réflexion politiques... je pense que le fait que le mouvement islamiste ait gagné dans les cités en France – ce qui est vrai, ce qui est vrai – et qu’il ait touché comme ça un certain nombre de jeunes Musulmans, garçons et filles, qui, il y a vingt ans, ne se revendiquaient pas comme Musulmans. Non, il y avait la Marche des Beurs en 83 où il n’était pas du tout question d’Islam, à aucun moment. Donc, tout cela a fait que les jeunes filles qui revendiquent aujourd’hui le port du foulard islamique dans la société française et en particulier à l’école – dans une société laïque, aujourd’hui, je dis que je ne suis pas d’accord, et que je suis d’accord avec la loi. Avec la loi qui interdit le foulard à l’école. Ailleurs, la loi n’interdit pas le foulard, ailleurs. On peut se promener dans la rue avec le foulard et dans un parc, dans des jardins, dans des commerces... partout, sauf à l’école, puisque à l’école, les élèves sont mineurs et ils dépendent de leurs parents. Donc, à l’université, je pense que c’est différent, et que les jeunes filles portent le foulard islamique, les étudiantes portent le foulard islamique... je crois qu’on est tolérant en général. Alors que dans l’école primaire et secondaire, non.

RG : En tant qu’Autrichienne, je peux dire que ce débat n’existe pas vraiment chez nous. Il y a des jeunes filles qui portent le foulard, mais normalement, ce n’est pas ce grand débat, cette question est réglée à l’intérieur de l’école. Ce n’est donc pas la même chose dont on discute : de l’Islam, du rôle de l’Islam et du fondamentalisme. C’est vraiment la question : « A-t-on le droit de porter le foulard ou un bonnet ? » - cela est toujours comparé avec le bonnet. À l’école, on n’a pas le droit de le faire. Mais ici, en France, j’ai l’impression que le débat autour du foulard n’est plus vraiment un débat autour du foulard, mais seulement un débat autour du fondamentalisme. C’est seulement le fondamentalisme...

LS : Pas seulement. Je veux dire qu’en Autriche, je ne sais pas quel est le nombre de Musulmans, je ne sais pas quelle est l’importance des Musulmans, je ne sais pas... Je ne crois pas que ce soit comparable à la France.

RG : En partie, en partie c’est comparable. Il y a aussi des mouvements... il y a aussi beaucoup de Musulmans, mais ce n’est pas comparable du point de vue du statut de la religion dans l’État, parce que chez nous il n’y a pas de laïcité.

LS : C’est ça.

RG :C’est ça la différence. Mais ici... J’ai lu tous les articles sur la Commission Stasi, les témoignages, et j’avais vraiment l’impression qu’on discute seulement du fondamentalisme, de cet aspect fondamentaliste de l’Islam, mais plus de l’Islam en tant que religion, et plus du foulard en tant que signe religieux, mais « signe du fondamentalisme ». J’avais vraiment cette impression, parce qu’il y avait plusieurs témoignages – je me les rappelle bien – où on parlait seulement des différentes « associations » comme « Ben Laden », qui existent ici et qui recrutent des adeptes et qui font du prosélytisme partout, etc. etc. Et c’est pour ça que je vous ai posé la question parce que vous vivez en France, ...

LS : Oui.

RG : ... vous avez un autre point de vue sur la situation que moi. Parce que moi, je reste en dehors.

LS : Oui. Mais je vous ai donné mon point de vue.

RG : Oui, c’est vrai.

LS : Je suis laïque. Je défends la laïcité.

RG : Oui, pour moi, c’est la même chose. Moi, je suis aussi pour la laïcité, mais pour la laïcité qui est une laïcité « tolérante ».

LS : C’est pas de la tolérance. C’est pas de la tolérance parce que... Cela veut dire, symboliquement, cela veut dire que l’espace scolaire est un espace neutre. On n’arrive pas avec ces insignes. Ni politiques, d’ailleurs ! Ni politiques, ni religieux. Donc, on prend ses distances.

RG : Oui. Maintenant j’aimerais parler avec vous d’un autre sujet que j’ai intitulé « La passion Algérie » parce que vous avez aussi choisi un titre comparable dans le carnet de voyages Mes Algéries en France5, et vous évoquez dans ce chapitre beaucoup de femmes pour qui l’Algérie était vraiment une passion. Vous commencez avec Isabelle Eberhardt, mais vous évoquez aussi Juliette Grandgury, Marthe Stora et Josette Audin etc... J’aimerais parler avec vous maintenant d’Isabelle Eberhardt parce que vous m’avez dit que vous aviez publié un livre sur elle intitulé Isabelle l’Algérien. J’aimerais bien savoir ce qui vous fascine à cette femme. C’est aussi une question vaste...

LS : (rires)

RG : ... mais intéressante.

LS : Ce livre dont vous parlez que j’ai intitulé Isabelle l’Algérien, c’est un recueil de nouvelles. Ce sont dix nouvelles, et des nouvelles qui constituent une sorte de portrait d’Isabelle Eberhardt. Donc... je m’intéresse à Isabelle Eberhardt depuis très longtemps. On avait fait avec Nancy Huston un numéro spécial de revue qui s’appelait Cahiers du G.R.I.F. – enfin, c’est la revue qui s’appelait Cahiers du grief - et le numéro s’appelait « Recluses et vagabondes ». Et c’est un recueil collectif de textes, d’analyses, de commentaires etc., concernant les femmes-écrivains, celles qui écrivent dans la réclusion – je veux dire dans l’enfermement -, et celles qui sont nomades, des écrivaines-voyageuses, disons. Et donc, Isabelle Eberhardt faisait partie de cette série de femmes. (...) Donc, ç’a été publié il y a environ dix-sept ans ou quinze ans, et Isabelle Eberhardt, qui avait été oubliée pendant très longtemps, a été redécouverte il y a une quinzaine d’années. Donc, on a republié ses textes et il y a une biographie très importante d’Edmond Charlerot la concernant, donc, j’avais un matériel intéressant. Et j’avais envie d’écrire des textes de fiction qui disaient quel regard je porte sur ce personnage. Qu’est-ce qui m’intéresse d’elle ? Parce qu’elle est restée comme un personnage excentrique, et on a retenu le personnage et on a oublié ce qu’elle a écrit – de manière générale. Donc, on la redécouvre, c’est intéressant, et elle m’intéresse que... C’est amusant, parce qu’elle m’intéresse autant que des femmes recluses – je veux dire Virginia Woolf, c’est une recluse, d’une certaine manière, elle m’intéresse... et Isabelle Eberhardt, qui est une nomade qui ne reste pas en place... Donc, ce qui m’intéressait, c’est le fait qu’elle ait vécu un exil qui était l’exil de sa mère parce que sa mère est Russe et elle s’est exilée à Genève avec le précepteur de ses enfants qui est probablement le père d’Isabelle. Et ensuite, sa mère s’exile encore en Algérie avec sa fille pour des raisons qu’on ne connaît pas. Et Isabelle adopte ce pays et c’est un exil – pour elle – un exil parfaitement heureux. Donc, ça m’intéressait de comprendre ce que c’est qu’un « exil heureux ». Et en même temps, c’est une femme qui pour son époque – elle est morte en 1904, à l’âge de 27 ans... très jeune... elle a vécu quatre années en Algérie, de 23 à 27 ans, elle était très jeune – et elle a vécu exactement comme elle le souhaitait, sans protection, sans protecteur, sans souteneur... (elle rit)

RG : Dans une parfaite liberté.

LS : Dans la liberté qu’elle avait choisie et qui est d’autant plus paradoxale qu’elle se convertit à l’Islam. Or la situation des femmes dans l’Islam n’est pas la situation d’Isabelle Eberhardt, elle n’est pas la situation qu’elle vit parce qu’elle vit exactement comme elle le veut, elle boit de l’alcool avec les soldats de l’armée d’Afrique qu’elle rencontre dans ses pérégrinations, elle fume le kif, elle dort sur des nattes sur le terrain des cafés maures... elle partage la vie des hommes. Elle n’aime pas du tout la vie des femmes. Les seules femmes qu’elle accepte de rencontrer, qu’elle écoute – parce qu’elle écoute beaucoup, elle observe beaucoup -, sont des prostituées.

RG : Des danseuses...

LS : Oui, c’est ça.

RG : ... des courtisanes.

LS : Oui. Donc, des femmes aussi irrégulières qu’elle, et aussi transgressives. Donc, ce qui m’intéressait, c’est cette forme de transgression, y compris par rapport à la religion qu’elle adopte, parce que sa vie n’a pas été conforme exactement à ce que l’Islam impose à une femme musulmane.

RG : Et elle est pour vous donc un symbole de la liberté.

LS : Oui.

RG : De la « parfaite liberté en Islam »... paradoxalement, mais...

LS : Pas seulement en Islam. Là, il se trouve que c’est en Islam, parce qu’elle a adopté l’Islam, mais c’est un transfuge heureux. Cela ne veut pas dire qu’elle n’avait pas une vie difficile. Elle vivait dans la précarité la plus totale : elle n’avait pas d’argent, elle vivait dans la pauvreté, vraiment, elle n’était pas... La vie était pour elle difficile, la vie quotidienne et matérielle, mais elle avait comme ça une spiritualité importante.

RG : J’ai lu une nouvelle que vous avez publiée dans le recueil Sept filles qui est intitulée « La fille de la maison close », avec la jeune courtisane Mériéma et « Madame », la maîtresse de la maison... Et là, vous évoquez aussi Isabelle Eberhardt, il y a le jeune cavalier français qui raconte sa biographie à Mériéma. C’est justement à ce moment-là qu’on a l’impression que la libération de Mériéma commence vraiment. C’est une libération qui va vraiment petit à petit...

LS : En tout cas, un désir... un désir de liberté.

RG : Oui. C’est un désir de liberté qui va vraiment petit à petit, qui commence avec les promenades au bord de l’eau – donc, avec le symbole de l’eau qui est chez vous aussi toujours le mouvement et la libération... -, et cela se termine finalement avec la fugue de la fille qui quitte la maison...

LS : Oui, encore une fugue.

RG : Oui. Et entre ces deux points se situe la libération de son corps, parce que son corps, en tant que courtisane, est vraiment aux services des hommes, et aux services surtout de « Madame », ce qui m’a vraiment beaucoup choquée. Et maintenant elle commence – c’est-à-dire à partir de ce moment – de libérer son corps, elle l’expose à l’œil de la caméra de l’ami de l’officier. Elle le libère, c’est elle qui dispose de son corps, et c’est justement ce que fait aussi Isabelle Eberhardt, elle dispose aussi de son corps, elle ne se soumet à aucune contrainte.

LS : Oui, oui, aucune contrainte sociale.

RG : Aucune contrainte... Et bien qu’elle se convertisse à l’Islam, elle n’accepte pas ces contraintes de l’Islam qui pèsent justement sur le corps de la femme. C’est donc cet aspect de la libération.

LS : Oui.

(Pause)

RG : Maintenant, j’aimerais parler avec vous de Josette Audin.

LS : Oui.

RG : Oui... vous parlez de... je ne veux pas vraiment dire « disparition », parce que c’était vraiment un meurtre à mes yeux...

LS :Oui !

RG :... le meurtre de Maurice Audin qu’on a arrêté, qu’on a torturé et qu’on a porté disparu.

LS : C’est ça.

RG : Vous décrivez la voix de Josette Audin quand elle entre pour la première fois dans la classe. Et vous la décrivez comme une voix « monotone », comme une voix « éteinte » et comme une voix « blanche ». Qu’est-ce qui signifie la couleur « blanc » dans ce cas pour vous ? Est-ce l’effacement ?

LS : C’est une protection contre la douleur pour cette femme, puisque elle venait de... Enfin, pendant toute cette année où elle a été mon professeur de mathématiques, c’était l’année où son mari avait été arrêté, incarcéré et il avait été porté disparu. Donc, c’est une image vivante de la douleur qui ne peut pas s’exprimer.

RG : Donc, « l’effacement des mots », l’effacement du côté affectif de la langue...

LS : Oui, c’est ça.

RG : ... qui se limite vraiment à la « langue des mathématiques », comme vous le dites.

LS : Oui, c’est ça, c’est ça.

RG : Et vous dites aussi que – quand elle entre dans la classe – il y avait le silence parmi les élèves. D’une part, c’était un silence complice...

LS : Oui, pour certaines, oui.

RG : ... donc un moyen pour exprimer un peu qu’on partage la douleur, mais d’autre part, c’était aussi un silence...

LS : Hostile.

RG : ... hostile. Est-ce que c’était vraiment comme ça dans le lycée, que les jeunes filles étaient vraiment divisées en deux face au sort de leur professeure ?

LS : Oui. En tout cas, c’était la guerre. Donc, il y avait une division de fait...

RG : Des élèves dans le lycée ?

LS : ... de l’ensemble des Européennes qui étaient favorables à l’Algérie française et puis des Musulmanes qui étaient favorables à l’Indépendance. Oui, ça ne se manifestait pas de manière bruyante.

RG : Mais dans le silence.

LS : Oui. De manière sourde.

(Pause)

RG : Maintenant j’aimerais parler avec vous un peu de l’Algérie actuelle. J’ai commencé à lire le recueil de nouvelles La Jeune fille au balcon, et justement dans la nouvelle qui porte le même titre, vous vous intéressez vraiment à la situation en Algérie : aux massacres, à la violence quotidienne qui enferme encore plus les femmes, encore plus les filles. Et face à cette situation, à ces menaces intégristes, à ces massacres qui éradiquent toute une famille avec enfants, avec femmes, avec tout, quelle est votre attitude ? Vous vous sentez proche des femmes, j’ai l’impression...

LS : C’est passé en tout cas, c’est passé... ces années-là sont passées. Elles sont présentes dans la nouvelle « La jeune fille au balcon », dans la nouvelle, parce que je l’ai écrite pendant ces années-là, alors que je ne vis pas en Algérie. C’est une nouvelle qui se passe en Algérie où je ne vis pas.

RG : Oui, mais je pense que cette distance ne nuit pas à la nouvelle. Au contraire : elle est peut-être favorable à la nouvelle, parce que vous avez une distance, vous regardez les choses autrement que quelqu’un qui vit en Algérie et qui vit quotidiennement avec la violence et qui n’a peut-être pas la force d’en parler, qui doit s’y habituer et se taire... surtout se taire. Mais vous avez la possibilité de parler.

LS : Oui, j’ai le privilège d’être ici, d’écrire à partir d’ici. Et c’est vrai que des lecteurs français – et algériens d’ailleurs ! – ont pensé que je vivais en Algérie. Ils n’ont pas cru... Enfin, ils ne croyaient pas quand je disais que je l’avais écrite ici, que je vis ici depuis plus de trente ans, et que je ne vis pas en Algérie, parce qu’ils avaient l’impression que j’étais dans l’action de ces années-là. Et la distance dont vous parlez, je crois qu’elle est là toujours et que j’en ai besoin et, d’une certaine manière, il me semble que c’est la... ce qu’on pourrait appeler en psychanalyse « la bonne distance », parce que, comme je suis « des deux », j’ai la bonne distance critique à l’égard de la France, et la bonne distance critique à l’égard de l’Algérie. Ce qui ne veut pas dire que je sois toujours dans une attitude de critique et d’agressivité. Il peut y avoir de l’émotion, de la tendresse même si je ne suis pas au cœur de... Bon, je n’ai jamais vécu dans une cité de banlieue, jamais. Je ne vis plus en Algérie depuis très longtemps.

RG : Et vous vous décrivez aujourd’hui comme une écrivaine « française » ou « francophone » ?

LS : Non, francophone, non.

(Pause)

RG : J’aimerais revenir à la question comment vous vous voyez aujourd’hui, si vous vous voyez plutôt comme écrivaine « française » ou comme écrivaine « francophone ».

LS : Ce qu’on appelle les écrivains « francophones », sont les... pour ce qui concerne le Maghreb et ailleurs aussi... Des écrivains « francophones » sont des écrivains dont la langue maternelle n’est pas le français.

RG : Oui, je sais.

LS : Ma langue maternelle, c’est le français.

RG : Oui. Mais je vous pose cette question justement parce que j’ai lu de Glissant Introduction à une poétique du divers, et il dit qu’aujourd’hui, même quand un écrivain ne parle qu’une seule langue en apparence, il tient compte nécessairement dans son texte de l’existence de toutes les autres langues qui l’entourent.7 Et c’est justement le cas dans votre œuvre parce que l’arabe est vraiment très présente dans votre œuvre. Par exemple dans Je ne parle pas la langue de mon père, c’est la langue de la beauté – et aussi la langue de la brutalité avec les insultes, les injures des garçons – et c’est pour ça que je vous ai posé la question.

LS : Moi, je ne sais pas si Edouard Glissant dit que ces écrivains sont « francophones ».

RG : Non.

LS : Il ne les appelle pas « francophones ».

RG : Non...

LS : Non.

RG : Non, ce n’est pas ce qu’il dit. Mais compte tenu de ces éléments, il est aussi difficile de parler de vous comme une écrivaine « française », parce qu’enfin, vous êtes influencée par les autres langues. (pause) Cela se montre, par exemple, quand on va dans une librairie : on trouve vos ouvrages toujours sous la rubrique « Littérature du Maghreb », « Littérature francophone ».

LS : Oui, parce que j’ai un nom arabe. C’est tout !

RG : (Rires) Mais c’est pas seulement le nom...

LS : Non. Non, mais pour les libraires, pour les libraires, c’est le... le nom arabe... Vous croyez qu’ils ont lu les textes ? Non, ils n’ont pas lu les textes. Non, non, un libraire ne peut pas lire tous les textes, tous les livres qu’il a dans sa librairie. Donc, par commodité, effectivement, il classe « Maghreb » ou il classe « Francophone », parce que j’ai un nom arabe et que j’écris en français. Mais il ne va pas réfléchir au-delà. Donc, le meilleur classement, ce serait de mettre en littérature par ordre alphabétique. (elle rit) Oui ! Non, moi, je me considère comme un écrivain français.

RG : Vous n’insistez pas sur le mot « écrivaine » ?

LS : Ça ne me dérange pas qu’on dise « écrivaine ».

RG : Ce n’est pas important pour vous ?

LS : Pas spécialement, pas spécialement. Je veux dire, je peux dire « écrivaine », je peux dire « écrivain »... ce n’est pas le plus important. Donc, je m’inscris en tout cas dans la littérature française avec des particularités. Et, d’une certaine manière, je dirais, j’écris dans la littérature française, dans la langue française qui est la langue de ma mère et ma langue maternelle, de la littérature étrangère avec, effectivement, l’arabe en accent, avec la voix de l’arabe et l’accent de l’arabe.

RG : Oui. (Pause) Dans mon mémoire, je m’intéresse aussi à la situation linguistique en Algérie, aux rapports langue-domination qui traversent toute la société avec l’arabe comme langue dominante qui domine le berbère, le français qui a dominé l’arabe et maintenant l’arabe qui domine le français, le berbère et aussi l’arabe dialectal. Je sais que la question est compliquée, mais vous êtes intéressée par la situation linguistique ?

LS : Je m’y intéresse, oui, je m’y intéresse. (Rires) Je veux dire que cette question-là m’intéresse, mais ça ne veut pas dire que je la pose dans ce que j’écris,...

RG : Oui, je sais.

LS : ... mais elle m’intéresse. Moi, je pense que, avec l’indépendance algérienne, ce qui s’est imposé comme langue nationale – parce qu’il fallait former une nation, et une nation se définit aussi par sa langue -, et l’arabe a été la langue de la nation algérienne, langue nationale. Donc, la langue de touche, de même que le français est la langue nationale en France, et l’allemand – langue nationale en Allemagne, etc. Cela dit, il y a eu des problèmes avec les Berbères, parce que le berbère est aussi la langue d’une partie importante de l’Algérie. Et c’est vrai que les Berbères ont dû lutter assez violemment pour imposer le berbère – non pas encore comme langue nationale, mais comme langue des Algériens -, et dans un certain nombre d’universités, on enseigne aujourd’hui le berbère. On ne l’enseigne pas encore à l’école parce que le berbère n’était pas une langue écrite, donc il faut que l’on travaille pour avoir l’appareil scolaire pour enseigner le berbère. Donc... Ça, c’est un vrai problème. Et le berbère a sa place – doit avoir sa place, et je pense qu’il l’aura. Quant au français, le français a été enseigné comme langue étrangère, ce qu’il est. Le français est une langue étrangère en Algérie. Donc, il a une place dans l’enseignement scolaire comme langue étrangère, mais il a un statut particulier puisqu’il est enseigné dès l’école primaire aux enfants algériens.

RG : Mais ne pensez-vous pas que l’arabe qu’on enseigne en Algérie, cet « arabe classique » soit aussi d’une certaine façon une « langue étrangère » ?

LS : Non, je ne crois pas, je crois que l’arabe qui est enseigné de plus en plus, ce qu’on appelle l’ « arabe moderne »...

RG : Oui, l’ « arabe standard »...

LS : ... donc, ce n’est pas non plus l’arabe classique, ni du Coran que personne ne comprend sauf si on a été enseigné dans cette langue, ni l’arabe du Siècle d’or arabe. C’est une langue moderne, l’arabe moderne, qui concerne tous les pays de langue arabe en Moyen-Orient et le Maghreb.

RG : Vous avez déjà parlé un peu de la situation du berbère. Comment avez-vous vécu le « Printemps berbère » ici, en France, en 1980 et 1981 ?

LS : Je l’ai vécu...

RG : Est-ce qu’il y avait – je ne sais pas – une « réflexion française » sur les événements en Algérie ou y avait-il plutôt une distance entre les deux pays ?

LS : Non, je crois que c’était la réflexion des Algériens berbères en France. Ils étaient concernés par cette question-là. Je ne pense pas que les Français dans leur ensemble aient été concernés par la question berbère des Algériens. Les Algériens – et ici en particulier les Berbères – parce qu’il y en a beaucoup dans l’immigration, il y a une proportion importante de Berbères. Il y a des associations berbères, il y a des centres culturels berbères, une télévision berbère où on parle en berbère – et pas en français – bien sûr aussi des questions berbères.

RG : Enfin, j’aimerais parler avec vous du passé franco-algérien. Dans Mes Algéries en France, vous vous intéressez beaucoup à ce passé franco-algérien, à ce passé où les deux mondes sont très proches l’un de l’autre et très liés l’un à l’autre. Et j’aimerais parler avec vous justement de cette sixième partie qui s’intitule « Champ des morts » et dans laquelle vous interrogez le passé franco-algérien sur la participation des soldats musulmans dans les deux grandes guerres mondiales, dans l’armée française. D’où vient-il, ce grand intérêt ? Est-ce que c’est pour vous le fait que ces soldats aient aussi, d’une certaine façon, « passé des frontières », avec ce va-et-vient entre leur culture d’origine et la France ?

LS : Oui. Je pense, je pense. En fait, il y a ce passage de frontières qui les concerne évidemment, et puis aussi le fait que leur présence physique dans les cimetières des deux guerres mondiales est importante. Symboliquement, ce sont des lieux de mémoire dont il faut tenir compte et qui appartiennent à l’Histoire de la France. C’est ça qui m’intéressait.

RG : C’est tout un travail contre l’oubli dans votre livre.

LS : Oui.

RG : Par exemple, vous transcrivez les noms des combattants que vous avez trouvés dans les cimetières, je pense en Alsace mais je ne suis plus sûre...

LS : De l’Alsace à la Somme. Partout où il y a eu des combats.

RG : Oui. Et vous transcrivez ces noms et vous les portez donc – je ne sais pas – à la conscience du lecteur d’aujourd’hui. Je pense que ma génération ne se rend pas souvent aux cimetières, et surtout nous ne lisons pas les inscriptions sur les tombes. Nous sommes déjà un peu « éloignés » de ce passé. Et c’est donc un travail contre l’oubli que vous faites dans votre livre...

LS : Oui.

RG : ... parce que vous touchez aussi ma génération avec.

LS : Bien sûr. Et c’est d’autant plus important que ces dernières années, il y a eu dans un certain nombre de cimetières des profanations de tombes...

RG : Oui.

LS : ... à la fois juives et musulmanes. Donc... ça dit à quel point le symbole est fort.

RG : À part ces soldats musulmans qui ont lutté dans les deux grandes guerres, vous vous intéressez à la situation des harkis. Je pense que leur situation est vraiment très difficile, parce qu’ils se situent aussi entre les « deux mondes », mais chez eux, ce n’est pas seulement un passage dans l’ « autre monde », mais un passage dans le camp ennemi. Et c’est pour ça qu’ils ont dû quitter l’Algérie à l’indépendance, où on les a considérés comme des traîtres. Vous dites que vous avez besoin de voir ces anciens camps pour « savoir » parce que c’est l’Histoire de l’Algérie avec la France.8 C’est donc aussi ce passage qui vous intéresse, ce rapport entre les deux mondes.

LS : Oui, et je dirais la « différence » entre les soldats de l’armée d’Afrique, qui ont combattu avec les Français, et ces soldats harkis qui ont combattu avec les Français et qui ont combattu contre les Algériens. Donc, ils sont passés du camp ennemi qu’ils ont choisi pour des raisons diverses, aux camps dans lesquels on les a installés en France. Donc... la situation est différente puisque, d’une certaine manière, ce sont des camps de la honte et de la famine. Et la France n’a pas su reconnaître ceux qui se sont combattus à ses côtés. Donc... il y a l’injustice aussi, pour les harkis.

RG : On les a laissés de côté en France. Vous dites, par exemple, qu’on ne leur a pas donné une toute petite partie de la terre pour laquelle ils se sont combattus. Mais au lieu de cela, ils ont été enfermés, surveillés, maltraités... C’est vraiment une histoire terrible qu’on ne connaît pas vraiment en dehors de la France.

LS : Oui.

RG : Et je pense que votre ouvrage sert un peu à ce processus de prise en considération de la lutte des harkis qui est maintenant en train...

LS : Oui.

RG : ... parce que je sais – mais je n’ai pas encore lu le texte – qu’il existe maintenant une loi qui prend en considération la participation des harkis à la guerre. Je crois que cette loi est passée en janvier ou en février.

LS : Oui, c’est une loi un peu bizarre. C’est une loi un peu bizarre. Déjà Chirac a fait un geste de reconnaissance à l’égard des harkis en posant une plaque aux Invalides. Je ne sais plus en quelle année...

RG : Le 25 septembre 1999... ?

LS : Enfin, oui, il y a quelques années. Par contre, cette loi qui est passée – malgré la présence parlementaire socialiste et communiste qui ne s’y sont pas opposés, ce qui est quand même étrange – c’est une loi qui dit qu’il faut dans l’enseignement de l’Histoire insister sur le rôle positif de la colonisation.

RG : Oui, c’est justement cet aspect qu’on est maintenant en train de discuter à Paris VII, je pense.

LS : Voilà. Donc, des historiens se sont élevés contre cette loi et demandent l’abrogation de la loi : d’une part, un gouvernement n’a pas à dire ce qui doit être enseigné dans les écoles en histoire, et d’autre part, on enseigne la colonisation, mais on n’a pas enseigné seulement le côté positif de la colonisation parce que ça n’a pas été globalement positif.

RG : C’est justement ce qu’on discute maintenant à Paris VII, je sais, mais je ne suis pas à Paris VII. Mais on nous a parlé de cette loi et de l’indignation des historiens de là-bas.

LS : Oui, c’est ça. Cela dit, il faut préciser que dans les programmes d’enseignement scolaire, les nouveaux programmes des classes de terminale pour le nouveau bac – ce sont des programmes qui datent de 2004 – donc, dans ces programmes d’histoire, il y a au moins vingt à trente pages dans chaque manuel pour les terminales L, S et les autres, sur l’Histoire coloniale, et c’est pas du tout passé sous silence. Enfin, il faut le signaler, quand même. Il faut les regarder les manuels scolaires. Il y en a, ils existent, et l’Histoire coloniale est racontée là... avec ses côtés négatif et positif.

RG : C’est donc l’essentiel, c’est ce que je voulais vous demander. Je vous remercie beaucoup, surtout de votre patience, parce que je sais que j’ai préparé les questions en peu de temps. C’était aussi la première fois que j’ai fait une interview...

LS : Non, mais vous avez fait un vrai travail. Donc... c’est intéressant.

(...)

 

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1: « (...) tu n’as plus besoin de moi vivante, finalement... », citation tirée de Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts. Paris : Stock, 1980, p 158

2: « Je n’apprendrai pas la langue de mon père. » citation tirée de : Je ne parle pas la langue de mon père. Paris : Juillard, 2003, p 125

3: « J’aurais pu (...), vingt ou trente années plus tard, m’asseoir contre le mur chaulé, là où chantent les colombes de la vieille tante, et écouter les contes traduits par un ami. Mais il n’y a pas eu d’ami pour transmettre parce que le père lui-même n’a rien transmis. » citation tirée de : Mes Algéries en France. Carnet de voyages. Saint-Pourçain-sur-Sioule : Bleu autour, 2004, p 56

4: « Il n’a pas parlé la langue de sa mère avec le fils de Fatima. Il n’a jamais rencontré le jeune homme à la prison d'Orléansville ni au vieux Ténès. » citation tirée de : Je ne parle pas la langue de mon père, 2003, p 124

5: Leïla Sebbar m’a offert quatre livres pour « encourager » un peu mon travail : le recueil de nouvelles Le Baiser (Hachette, 1997), le roman récent Marguerite (Eden, Folies d’encre, 2003), le roman bouleversant La Seine était rouge. Paris, octobre 1961 (Thierry Magnier, 1999) ainsi que le recueil de nouvelles Des Filles et des garçons (collectif ; Thierry Magnier, 2003), dont les droits d’auteurs sont versés au mouvement « Ni putes ni soumises ». La nouvelle « Les trois sœurs et les filles des cités » se trouve dans le dernier recueil, pp 159-168

6: cf. « Une passion algérienne », Mes Algéries en France, 2004

7: « Aujourd’hui, même quand un écrivain ne connaît aucune autre langue, il tient compte, qu’il le sache ou non, de l’existence de ces langues autour de lui dans son processus d’écriture. On ne peut plus écrire une langue de manière monolingue. On est obligé de tenir compte des imaginaires des langues. » citation tirée de : Glissant, Edouard : Introduction à une poétique du divers. Paris : Gallimard, 1996, p 112

8: « Alors, je ne sais pas. J’ai besoin de voir pour savoir, c’est l’histoire de l’Algérie avec la France, je ne suis pas la fille d’un harki, mais... » citation tirée de : Mes Algéries en France, 2004, p 197

 

 

Actualisation : mars 2008