Jean-Jacques Creche

     C'était un soir, je me souviens. J'étais en train de me laver les dents, il commençait à se faire tard. Tout à coup, dans la rue, sur la ville : un bruit énorme, immense, assourdissant, insupportable; un bruit comme jamais je n'en avais entendu, un bruit claquant, bref, un coup de tonnerre !

     Je me précipite dehors ! Déjà la rue était pleine de gens en robes de chambre, en pyjamas. Ils étaient étonnés, inquiets, apeurés, complètement bouleversés ! Ça se comprenait... Tout de suite j'ai compris leur peur, partagé leur angoisse ! Aussitôt, sans chercher, j'ai trouvé comme eux la cause du bruit, de l'horrible vacarme ! La nuit était tombée ! La nuit s'était cassé la gueule du haut du ciel ! Là, sur la ville, elle s'était écrasée, à plat ventre dans la rue, sur le trottoir. C'était terrifiant ! Vous pensez d'une hauteur pareille ! ! !

     Les flics, les pompiers, tout le monde était là. Des clignotants rouges partout, on entendait des sirènes, des claquements de dents. On essayait de la relever, de la réconforter, de la réanimer... Mais rien à faire, la nuit était là, tombée, inerte, comme morte ! Rien à faire ! On avait beau tout essayer, peine perdue ! Pourtant tous les médecins étaient présents; les chirurgiens, les dentistes, les dermatologues, les psychologues, les nuitologues, les chutologues. Rien, la nuit était morte ! Il y avait même les pompes funèbres mais je n'oserais insister, ce serait de mauvais goût !

     Il était cinq heures du matin, la nuit était toujours là, inanimée. Et le jour qui allait se lever ! Vous vous rendez compte, la nuit qui ne peut pas repartir et le jour qui arrive! C'est qu'il n'y a pas de place pour les deux sur cette terre. C'était sûr, ça allait être la guerre !

Pourtant la catastrophe fut évitée !

     Au fur et à mesure que le jour avançait, la nuit petit à petit reprenait des couleurs. D'abord gris pâle, puis rouge, elle s'est enfin animée. Elle a brossé ses vêtements poussiéreux, s'est dressée d'un coup, comme ça! Puis, elle est partie, silencieuse.

     Le jour n'y a vu que du feu ! Il l'a remplacée sans s'apercevoir de rien. Alors surtout ne lui dites rien.... Chut !

     Vous ne pouvez pas vous imaginer la joie des gens devant une telle catastrophe évitée de justesse !!!

Blois, le 7 février 1971.


Texte de Jean-Jacques Creche (Copyright © 1997)
Edition et dessin de Carole Netter


"Les midis de fringale..." (1974) / "Mon coeur est têtu" suivi d'une interview de l'auteur (octobre 1997)
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